« Les tribunaux de ce pays ne devraient pas être les lieux ou la résolution des conflits commence. Ils devraient être les lieux où les conflits aboutissent quand des méthodes alternatives de résolution des conflits ont été envisagées et utilisées ». (Sandra Day O’Connor, première femme nommée juge à la Cour Suprême des Etats-Unis).
Cette recommandation est tout aussi pertinente chez nous qu’aux Etats-Unis, et davantage encore en ces temps de pandémie.
En effet, il faut s’attendre, à très court terme, à une avalanche de conflits s’ajoutant aux litiges habituels d’avant la crise : un très grand nombre de personnes se trouvent à l’heure actuelle sans revenus depuis plusieurs semaines et sans perspective d’en retrouver avant longtemps et donc dans une situation qu’elles n’envisageaient même pas il y a peu. Leurs charges et dépenses courantes, elles, continuent à courir.
En tant que juge de paix, je voudrais m’attacher ici à la problématique des loyers impayés par les locataires résidentiels et commerciaux et des charges impayées par les copropriétaires, en raison de cette baisse dramatique ou de cette absence de revenus.
Le droit positif actuel régissant les rapports entre créanciers et débiteurs en général et entre propriétaires et locataires en particulier n’est pas bien adapté à la situation inédite que nous connaissons.
Certes, la loi et la jurisprudence autorisent le juge de paix, dès à présent, à tenter de concilier les parties en conflit, à retarder la date normale de fin de bail pour circonstances exceptionnelles, à accorder au locataire et au copropriétaire des facilités de paiement (« termes et délais », dans notre jargon) pour régler des arriérés de loyer ou de charges de copropriété, en tenant compte des intérêts légitimes des parties en présence.
Sur la base de la législation en vigueur et de la jurisprudence établie et sans un recours à l’imagination, à la créativité, à la bonne volonté et à la solidarité dont il sera question ci-dessous, le juge pourra difficilement décider d’une modification du contrat, par exemple dans le sens d’une diminution du montant du loyer contractuellement prévu ou d’une suspension temporaire du paiement de celui-ci, au seul motif que le locataire se trouve brusquement sans ressources et est incapable de préciser le moment où sa situation s’améliorera.
Un arrêté royal de pouvoirs spéciaux pourrait également contribuer à faire face à cette situation, non seulement sur le plan de la procédure, ce qui est déjà le cas depuis quelques jours (suspensions et allongements de délais, recours à la procédure écrite en lieu et place des audiences de plaidoiries temporairement suspendues), mais également sur le plan du droit matériel, c’est-à-dire des règles régissant les droits et obligations des parties.
Dès à présent, le locataire se trouvant dans cette situation ferait bien de ne pas attendre la lettre de rappel de son propriétaire ou de l’avocat de celui-ci et encore moins une convocation devant le tribunal pour prendre spontanément contact avec ledit propriétaire. Il lui exposerait le problème et les deux parties rechercheraient ensemble une solution. Rien n’interdit non plus à un propriétaire, connaissant ou soupçonnant les difficultés qu’éprouve son locataire, de prendre lui-même l’initiative de le contacter afin de négocier un accord.
S’ils ne devaient pas y parvenir seuls, chacun d’entre eux pourra demander au greffe de la justice de paix du canton dans lequel se trouve les lieux loués de convoquer l’autre à une audience de conciliation devant le juge. Cette procédure, trop méconnue et donc trop peu utilisée, est totalement gratuite.
Le juge tentera de concilier les parties présentes. S’il y parvient, ce qui est souvent le cas en présence du propriétaire et du locataire, un procès-verbal de l’accord, ayant la même valeur qu’un jugement, sera dressé.
Dans le cas contraire, après avoir tenté vainement la négociation, la conciliation (ou la médiation, en faisant appel à un médiateur agréé), mais, de grâce, pas avant, les parties pourront avoir recours à une procédure classique, à l’issue de laquelle le juge tranchera, après avoir sans doute tenté une dernière conciliation.
Dans le contexte inédit et à vrai dire terrifiant que nous vivons et à l’heure où il en est tant question entre états au sein de l’Union européenne, le moment est arrivé pour les parties et leurs avocats de donner la priorité au deuxième sens du beau mot « solidarité ».
Au sens technico-juridique utilisé devant les tribunaux, la solidarité, imposée par la loi ou par le contrat, a pour effet de permettre au créancier d’exiger de n’importe lequel de ses débiteurs « solidaires » (en pratique : le plus solvable) qu’il lui règle l’intégralité de la dette. Concrètement, le propriétaire pourra réclamer la totalité des loyers, charges et indemnités dus au colocataire ou caution solidaires de son choix.
Au sens commun ou ordinaire de l’expression, la solidarité est le sentiment de responsabilité et de dépendance réciproque au sein d’un groupe de personnes qui sont moralement obligées les unes par rapport aux autres. C’est la concrétisation, la mise en pratique de la belle notion de Fraternité, qui permet de concilier, de faire vivre ensemble la Liberté et l’Egalité.
Avi Schneebalg, président de GEMME Belgium
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