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24 Feb 2023 | Corporate & Accountancy

Les entreprises familiales peuvent-elles devenir des championnes de la durabilité ? – par Liesbeth De Ridder et Olivier Braet
  • Durabilité en droit

    La durabilité est plus qu’un effet de mode. Il s'agit d'une responsabilité partagée. Jubel y contribue en réunissant différents experts qui examinent, d’un point de vue juridique, les questions environnementales et climatiques. L'importance du droit en tant qu'outil de durabilité collective et individuelle est centrale. De nombreux auteurs tentent d’y apporter une réponse à partir des différents domaines du droit. Nous pouvons citer le droit de la concurrence, des sociétés, le droit fiscal, les droits de l'homme, le droit pénal ou encore le droit européen. Le projet est sous la direction d’un comité scientifique Alain François (Hoogleraar VUB en Partner bij Eubelius Advocaten) Ludo Cornelis (Professor dr. Emeritus VUB) Sandra Gobert (Executive Director Guberna) Philippe Lambrecht (Professeur Centre de recherche interdisciplinaire Droit, Entreprise et Société (CRIDES) UCL) Jean-Marc Gollier (Advocaat EUBELIUS, Corporate Social Responsibility - Compliance (UCL - Louvain School of Management) Vous souhaitez rédiger un article sur la durabilité ? Contactez la rédaction de Jubel !

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Que signifie la durabilité dans le contexte des entreprise familiales ? Quelles sont les facteurs propres à ces entreprises qui favorisent (ou freinent) l’adoption de pratiques plus durables ? Quelles sont les bonnes pratiques à mettre en place, notamment au niveau de la gouvernance ? Dans l’article suivant, nous (Oliver Braet et Liesbeth De Ridder, GUBERNA) tâcherons de fournir quelques éléments de réponse.

Durabilité: what’s in a name?

Ces dernières années, la durabilité est devenue un principe clé des codes de bonne gouvernance. Le Code 2020, qui sert de code de référence pour les sociétés cotées mais constitue aussi une source utile pour d’autres types d’organisations, recommande notamment de poursuivre une création de valeur durable, ce qui consiste à mettre l’accent sur le long terme, sur le comportement responsable à tous les niveaux de la société et sur le fait de prendre en compte de manière permanente les intérêts légitimes des parties prenantes. L’idée est donc de poursuivre des objectifs de long-terme en faveur des stakeholders de l’entreprise, qui vont au-delà des intérêts financiers à court-terme des actionnaires.

L’idée est donc de poursuivre des objectifs de long-terme en faveur des stakeholders de l’entreprise, qui vont au-delà des intérêts financiers à court-terme des actionnaires

De telles demandes sont également formulées à l’égard des entreprises non cotées, notamment les entreprises familiales. Par exemple, le Code Buysse III attribue aux entreprises une "responsabilité sociale". Cela implique tout d'abord d'identifier et de bien comprendre les besoins et les attentes des parties prenantes de l'entreprise (les actionnaires et investisseurs, les clients et fournisseurs, les employés, les citoyens, autorités publiques, certaines organisations non gouvernementales, …). Cela nécessite également d'optimiser les performances environnementales, sociales et économiques de l'entreprise de manière durable.

S’agit-il uniquement de philanthropie, où les entreprises familiales vont-elles plus loin ?

Mais comment les entreprises familiales appliquent-elles concrètement la création de valeur durable ? Dans notre étude « Governance practices in Belgian family businesses », nous avons mis en évidence 3 niveaux d’actions en matière de durabilité. Ceux-ci sont classés en termes de maturité croissante :

  • Les entreprises peuvent prendre des mesures concrètes, mais souvent ad hoc, dans le cadre de leurs activités principales ou en dehors, afin d'avoir un impact environnemental ou social positif. Ces actions portent généralement sur une ou plusieurs des dimensions suivantes : les individus (les employés), l'environnement (durabilité des produits et des processus de production) et la société (les communautés externes). Par exemple, une entreprise pourrait décider d’installer des panneaux solaires pour réduire son empreinte écologique, ou encore mettre en place des actions philanthropiques.
  • Plusieurs entreprises familiales vont un pas plus loin en inscrivant leurs initiatives dans une stratégie de durabilité. Les entreprises concernées définissent au niveau de la gestion plusieurs objectifs généraux et les traduisent en actions concrètes. Elles fixent également des objectifs quantifiés ainsi que des procédures pour mesurer la réalisation de ces objectifs. Par exemple, l’un des dirigeants d’entreprise que nous avons interrogé dans le cadre de l’étude disait : « Le développement durable est l'un des trois piliers de la stratégie de l'entreprise, avec la création de valeur et l'excellence opérationnelle. L'entreprise a développé une stratégie de durabilité en collaboration avec son comité de direction et ses parties prenantes, comprenant des objectifs et des domaines d'action pour les 10 prochaines années ». Cependant, dans cette approche, la durabilité reste un pilier distinct du cœur de la stratégie d’entreprise.
  • La dernière étape de cette évolution est l'intégration de la durabilité au cœur de la stratégie de l’entreprise et dans ses pratiques de gouvernance. Concrètement, cela signifie que l'entreprise a mis en place des procédures pour s'assurer que la durabilité est prise en compte par les organes de gouvernance de l'entreprise lors de toutes les prises de décisions (notamment via un « sustainability check » pour chaque décision importante). Pour parvenir à ce niveau de maturité, une piste suivie par plusieurs entreprises familiales est l’obtention de la certification B Corp. Il s’agit d’un label octroyé à des entreprises répondant à des exigences strictes sociétales et environnementales, de gouvernance ainsi que de transparence envers le public par rapport à ces trois aspects. Une des conditions requises pour l’obtention de cette certification est l’inscription dans les statuts d’une raison d’être (« purpose ») qui dépasse le profit à court terme des actionnaires. Cela nécessite également la mise en place d’une feuille de route pour intégrer la durabilité dans tous les aspects de l’entreprise. La société familiale cotée Spadel et le family office VP Capital font notamment partie des quelques 25 entreprises certifiées B Corp en Belgique.

Les facteurs qui encouragent et/ou entravent la durabilité d'une entreprise familiale : aperçu de la littérature

Quels sont les facteurs propres aux entreprises familiales qui contribuent positivement à la création de valeur durable ? La littérature académique apporte quelques éléments de réponse3. Dans une revue de la littérature, Mariani, Al-Sultan et De Massis (2021)4 identifient notamment l’implication de la famille comme un facteur déterminant dans la prise de mesures en matière de durabilité. Le niveau d’orientation entrepreneuriale de la famille joue aussi un rôle à cet égard. Leurs recherches suggèrent également que le CEO familial est un moteur de la poursuite de la création de valeur durable. Il en va de même pour la présence d’administrateurs indépendants et de membres féminins dans le conseil d’administration, dans la mesure où ces derniers seraient plus sensibles aux attentes des parties prenantes externes. La présence d’objectifs non-économiques au niveau de la famille (philanthropie, laisser un héritage à long terme, promouvoir une cause) serait également positivement corrélée avec les actions en matière de développement durable. Enfin, les auteurs indiquent que les considérations éthiques et de valeurs semblent jouer un rôle important en la matière. En synthèse, la propension des entreprises familiales à poursuivre la création de valeur durable découle de deux facteurs principaux : une implication importante de la famille dans le contrôle et la gestion de l’entreprise, combinée à des objectifs non économiques orientés à long terme et à des valeurs fortes.

Il existe également certains facteurs défavorables qui freinent les entreprises familiales dans leur poursuite de la création de valeur durable. Une revue de la littérature menée par Herrera et Heras-Rosas (2020)5 suggère que les entreprises familiales sont moins enclines à promouvoir l’innovation ouverte (y compris en ce qui concerne « l’éco-innovation »), due à une plus grande aversion au risque et à la peur d’une perte de contrôle.  Ces mêmes auteurs indiquent également que le manque de sensibilisation aux aspects de durabilité retarde l’adoption d’une réelle stratégie de développement durable. Ainsi, dans un article récent, Villalonga, Tufano et Wang (2022)6 indiquent que les entreprises qui présentent un actionnariat concentré et familial, ont une performance plus faible que les autres en matière de durabilité. Une exception cependant : la présence d’un CEO familial semble associée à une meilleure performance en la matière. Il est aussi suggéré que les nouvelles générations familiales sont plus sensibilisées aux problématiques sociales et environnementales.

Nous terminons par quelques « lessons learned » et conseils pour les entreprises familiales qui souhaitent s’engager sur la voie du développement durable.

  • Définition d’une vision au niveau familial : il est utile que les actionnaires familiaux définissent dans les grandes lignes leurs attentes en matière de développement durable, en accord avec les valeurs de la famille. Ceci pourrait faire l’objet d’une discussion authentique, par exemple au sein d’un forum familial, et aboutir à une définition de « l’appétit de durabilité » de la famille, à l’instar de son appétit pour le risque. En effet, nous avons vu que l’implication de la famille est un facteur déterminant de la mise en œuvre d’une politique de développement durable.
  • Engagement du conseil d’administration : partant de la vision familiale, le conseil d’administration pourra développer les objectifs stratégiques clés en matière de durabilité. Pour ce faire, le CA doit être suffisamment sensibilisé et informé des enjeux : l’organisation de formations sur les aspects ESG, ainsi que la prise en compte de ces critères dans la sélection des nouveaux administrateurs y sont favorables. La présence de plusieurs administrateurs indépendants / externes peut aussi contribuer à une meilleure prise en compte des attentes des parties prenantes. Enfin, une consultation des parties prenantes de l’entreprise (clients, fournisseurs, employés, etc.) pourra contribuer à une meilleure stratégie en la matière.
  • Opérationnalisation de la vision : il est important que l’équipe de management opérationnalise la stratégie de durabilité fixée par le C.A., via la définition d’objectifs tangibles et si possibles chiffrés. Il conviendra aussi de mesurer le progrès de l’entreprise vers la réalisation des objectifs : « meten is weten ». Pour assurer la mise en œuvre concrète, il sera utile que le CEO lui-même (ou l’équipe de management dans son ensemble) porte le projet de durabilité de l’entreprise.
  • Implication de la nouvelle génération : les membres de la « next gen » sont souvent bien sensibilisés aux enjeux de développement durable. Il peut donc être utile de les impliquer pour renforcer l’action de l’entreprise en matière de durabilité. Cela peut se faire via l’organisation d’un « shadow boarding » (voix consultative au sein du conseil d’administration), ou le cas échéant en impliquant la nouvelle génération au sein de l’équipe de l’entreprise.
  • Innovation et entreprenariat : l’esprit entrepreneurial et la capacité d’innovation figurent parmi les plus grandes forces des entreprises familiales. Celles-ci peuvent en tirer profit pour élaborer des nouveaux produits, services et processus qui contribuent à la transition durable. Le recours à l’innovation ouverte, basée sur la coopération externe et le partage de connaissances, pourrait renforcer encore plus la capacité « d’éco-innovation » des entreprises familiales.

Liesbeth De Ridder et Olivier Braet, GUBERNA

  • Durabilité en droit

    La durabilité est plus qu’un effet de mode. Il s'agit d'une responsabilité partagée. Jubel y contribue en réunissant différents experts qui examinent, d’un point de vue juridique, les questions environnementales et climatiques. L'importance du droit en tant qu'outil de durabilité collective et individuelle est centrale. De nombreux auteurs tentent d’y apporter une réponse à partir des différents domaines du droit. Nous pouvons citer le droit de la concurrence, des sociétés, le droit fiscal, les droits de l'homme, le droit pénal ou encore le droit européen. Le projet est sous la direction d’un comité scientifique Alain François (Hoogleraar VUB en Partner bij Eubelius Advocaten) Ludo Cornelis (Professor dr. Emeritus VUB) Sandra Gobert (Executive Director Guberna) Philippe Lambrecht (Professeur Centre de recherche interdisciplinaire Droit, Entreprise et Société (CRIDES) UCL) Jean-Marc Gollier (Advocaat EUBELIUS, Corporate Social Responsibility - Compliance (UCL - Louvain School of Management) Vous souhaitez rédiger un article sur la durabilité ? Contactez la rédaction de Jubel !

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