15 Mar 2019 | Nouveauté

L’absence d’une Commission des frais de justice: une violation du principe de l’État de droit

Par Jubel

Opgelet: dit artikel werd gepubliceerd op 15/03/2019 en kan daardoor verouderde informatie bevatten.

Contribution en nom personnel, auteur:

Henri Boghe

  • gérant de Translatica SNC,
  • interprète et traducteur judicaire, assermenté depuis 1996,
  • ancien porte-parole de l’UPTIA (nov. 2014-sep. 2018)

Le Ministre de la Justice est soumis, lui aussi, aux principes constitutionnels

Par son arrêt du 28 février 20191), le Conseil d’État a annulé le refus du Ministre de la Justice de composer la Commission des frais de justice. Cette commission n’est plus opérationnelle depuis au moins septembre 2016. En conséquence, le règlement existant sur les frais de justice ne peut plus être respecté depuis près de trois ans. Cet arrêt critique sérieusement le Ministre de la Justice Koen Geens pour ne pas avoir appliqué des lois encore en vigueur et pour sa politique lacunaire en matière de frais de justice ces dernières années.Dans son arrêt, le Conseil d’État fait référence à “une violation du principe de l’Etat de droit” et affirme clairement que “l’intention de modifier la loi ne permet pas à un ministre [de la Justice] de ne pas appliquer des lois encore en vigueur”. Pour ceux qui en douteraient, le Conseil d’État rappelle que l’une des caractéristiques essentielles de l’État de droit implique que les dirigeants sont soumis aux règles de droit. Le Ministre de la justice est par conséquent soumis, lui aussi, aux principes constitutionnels. Il doit exercer ses pouvoirs “selon les modalités prévues par la Constitution” (art. 33, deuxième alinéa de la Constitution) et, en sa qualité d’organe du pouvoir exécutif, il ne peut ni suspendre l’exécution des lois, ni dispenser de leur exécution (art. 108 de la Constitution).

La Commission des frais de justice

La Commission des frais de justice est une juridiction administrative qui est habilitée à prendre connaissance des recours formulés contre les décisions du magistrat taxateur et du Ministre de la Justice en ce qui concerne le montant des frais de justice. Selon la loi sur les frais de justice en vigueur (depuis 2006), le magistrat peut réduire l’état de frais (la facture) du prestataire de service, en cas, notamment, de retard dans l’exécution de la prestation, de sa mauvaise exécution ou de facturation exagérée par le prestataire. Les frais de justice concernent les prestations de traducteurs et d’interprètes, d’experts judiciaires, de médecins légistes, d’experts du roulage, de services de dépannage, de serruriers, d’opérateurs télécoms et d’autres prestataires de service, payées par le SPF Justice. La demande de prestations dans le cadre d’affaires pénales peut émaner de nombreuses instances: des services de police, du juge d’instruction, du Ministère public, des cours et tribunaux.

Dans son arrêt du 26 novembre 20092), la Cour Constitutionnelle avait déjà souligné l’importance de l’existence de cette commission: “L’existence de la Commission des frais de justice est jugée indispensable pour assurer le respect de la réglementation des frais de justice et plus précisément de l’application cohérente du barème des honoraires en matière répressive. (Doc. parl., Chambre, 2006-2007, DOC 51-2774/001, p. 5).”

Au cours de l’hiver 2017-18, l’Union professionnelle des traducteurs et interprètes assermentés (UPTIA) a dénoncé à plusieurs reprises par le canal de la presse que des interprètes avaient été informés par le chef du Service des frais de justice du SPF Justice, agissant au nom du Ministre de la Justice, qu’ils pouvaient saisir la Commission des frais de justice contre les décisions de réduire leurs factures. Déjà à l’époque, il était clair que les interprètes et les autres prestataires de service étaient renvoyés vers une “commission fantôme”. L’UPTIA a également demandé qu’une Commission de frais de justice soit mise en place dans le but de garantir le droit des interprètes et experts judiciaires à un recours effectif devant une instance indépendante et impartiale dans le respect des droits de la défense3).

Le Conseil d’État rappelle l’État belge à l’ordre

Le Conseil d’Etat conclut à présent que l’Etat belge, représenté par le Ministre de la Justice, n’a manifestement plus l’intention de désigner de nouveaux membres de la Commission des frais de justice ou de renouveler le mandat des membres précédents. L’argument de défense du Ministre de la Justice selon lequel, à l’avenir, une autre procédure de recours administratif remplacera le Commission des frais de justice, n’est actuellement, selon le Conseil d’État “qu’une simple proposition politique, même si un projet de loi a été déposé à la Chambre des représentants et y est actuellement en discussion”. Ce projet de loi – qui a été adopté le mois dernier en première lecture par la Commission de la Justice au sein de la Chambre4) – n’indique pas si et comment ces nouveaux organes prendront en charge et traiteront les litiges encore en cours devant la juridiction administrative. Selon le Conseil d’État, ce projet de loi ne semble nullement remédier au fait que la partie requérante ne peut faire usage d’une possibilité de recours établie par la loi devant la Commission des frais de justice.

Reste maintenant à attendre de voir quelles seront les conséquences de l’arrêt et si, et quand, le Ministre de la Justice procédera à la mise en place d’une commission des frais de justice. Le Conseil d’État lui a déjà rappelé son obligation d’exécuter l’arrêt dans ce domaine. Une commission nouvellement nommée aura beaucoup de travail à faire pour prendre connaissance des litiges encore en cours. Au niveau du seul tribunal de première instance francophone de Bruxelles, il y a au moins 20 à 25 interprètes, depuis 2016, qui ont vu leurs factures de prestation d’interprétation en dehors des heures de bureau réduites au tarif des heures de jour pendant les jours ouvrables. Il s’agit généralement de services fournis à la demande des juges d’instruction bruxellois, confirmés par écrit par des officiers de police, dans le cadre d’écoutes téléphoniques lors d’instructions judiciaires. Il y a sans aucun doute beaucoup plus de prestataires de service dans les affaires pénales qui, depuis septembre 2016, n’ont pas été en mesure d’utiliser un recours judiciaire auprès de la Commission pour les frais juridiques.

 

Contribution en nom personnel, auteur:

Henri Boghe

  • gérant de Translatica SNC,
  • interprète et traducteur judicaire, assermenté depuis 1996,
  • ancien porte-parole de l’UPTIA (nov. 2014-sep. 2018)
1. http://www.raadvanstate.be/arr.php?nr=243847

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