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10 Mar 2023 | Civil Law & Litigation

La logique de durabilité dans le nouveau droit des biens – par Marie-Sophie de Clippele
  • Durabilité en droit

    La durabilité est plus qu’un effet de mode. Il s'agit d'une responsabilité partagée. Jubel y contribue en réunissant différents experts qui examinent, d’un point de vue juridique, les questions environnementales et climatiques. L'importance du droit en tant qu'outil de durabilité collective et individuelle est centrale. De nombreux auteurs tentent d’y apporter une réponse à partir des différents domaines du droit. Nous pouvons citer le droit de la concurrence, des sociétés, le droit fiscal, les droits de l'homme, le droit pénal ou encore le droit européen. Le projet est sous la direction d’un comité scientifique Alain François (Hoogleraar VUB en Partner bij Eubelius Advocaten) Ludo Cornelis (Professor dr. Emeritus VUB) Sandra Gobert (Executive Director Guberna) Philippe Lambrecht (Professeur Centre de recherche interdisciplinaire Droit, Entreprise et Société (CRIDES) UCL) Jean-Marc Gollier (Advocaat EUBELIUS, Corporate Social Responsibility - Compliance (UCL - Louvain School of Management) Vous souhaitez rédiger un article sur la durabilité ? Contactez la rédaction de Jubel !

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La réforme du livre 3 « Les biens » du nouveau Code civil belge, entrée en vigueur le 1er septembre 2021, serait imprégnée, selon les rédacteurs de l’avant-projet, d’une logique de durabilité, soit du principe de développement des besoins actuels sans compromettre ceux des générations futures. Ainsi, des mesures d’optimisation du foncier (concept de propriété en volumes, définition fonctionnelle de la propriété), un titre entièrement consacré aux relations de voisinage, le « nucleus » de notre environnement, ou encore des tempéraments écologiques à la réparation en nature en cas de plantations gênant les voisins participent à cette vision durable[1].

Ainsi, la modification – légère – de la définition du droit de propriété à l’article 3.50 (I) ou l’insertion d’une forme de droit d’accès à l’article 3.67, § 3 (II) témoignent du souci d’accepter, certes de manière prudente, des formes de partage et d’inclusion en droit des biens. Les choses communes dans le nouvel article 3.43 font entrer, quant à elles, la notion de générations futures dans le Code civil (III).

La propriété soucieuse de son environnement

La définition de la propriété à l’article 3.50 modifie celle de l’article 544 de l’ancien Code civil qui reprenait le modèle classique de la propriété-appropriation[2] :

« Le droit de propriété confère directement au propriétaire le droit d’user de ce qui fait l’objet de son droit, d’en avoir la jouissance et d’en disposer. Le propriétaire a la plénitude des prérogatives, sous réserve des restrictions imposées par les lois, les règlements ou par les droits de tiers. ».

Dans son exposé des motifs, le législateur s’explique expressément de cette modification, qui supprime notamment les termes « de la manière la plus absolue » de l’article 544. Selon lui, la nouvelle définition, qui se veut « fonctionnelle », en décrivant les prérogatives du propriétaire, « correspond à l’évolution du droit de propriété intervenue au cours des dernières décennies, mettant sans cesse davantage l’accent sur l’impact social de l’exercice de la propriété »[3].

Concernant les droits des tiers, le législateur les entend au sens large, renvoyant « à tous les droits que peuvent avoir les tiers sur le bien d’autrui ». Les tiers eux-mêmes sont également définis de manière large et englobent « non seulement les personnes qui ont un lien contractuel avec le propriétaire (locataire, emphytéote, usufruitier, titulaire d’une servitude, emprunteur, superficiaire, etc.), mais également les tiers avec lesquels il n’a aucun lien juridique (autorité, voisins, etc.). »[4]. Et de préciser que « En réponse au Conseil d’État, il peut être précisé que l’ajout des “droits des tiers” n’est pas superflu : un propriétaire doit respecter non seulement les restrictions du droit objectif mais également celles des droits subjectifs. Les règles de responsabilité offrent uniquement une assise à l’obligation secondaire de dédommagement/réparation en nature en cas de violation de l’obligation primaire, mais le respect de l’obligation primaire doit s’exprimer séparément. ».

Toutefois, mis à part l’ajout des droits des tiers – qui recèle un potentiel innovant – le pouvoir d’exclure est préservé, tout comme la vision individuelle de la propriété. Pas de révolution donc, mais une réforme intéressante néanmoins.

L’accès au terrain vague, une fausse bonne idée ?

Outre les retouches apportées à la définition de la propriété, le législateur prévoit explicitement plusieurs tolérances du propriétaire, dont celle reprise à l’article 3.67 § 3 introduisant pour la première fois en droit belge une sorte de droit de parcourir, d’un droit de « flâner sur un terrain vague »[5], voire d’un « betredingsrecht » en référence au droit néerlandais[6]. Si le législateur semble vouloir offrir une lecture restreinte au texte (le nouveau Code civil est une modernisation et non une révolution disions-nous)[7], il n’empêche que la rédaction de l’article dispose d’une portée très large, ouvrant de la sorte une nouvelle porte à une reconnaissance des communs en droit positif belge.

La rédaction peu claire suscitera cependant de nombreuses controverses en pratique (passage de jour comme de nuit ? passage seulement à pied ou aussi motorisé ? quand y aurait-il une nuisance ou un dommage pour le propriétaire ? comment marier ce droit avec les législations régionales spécifiques en matière de voiries et de forêts ? etc.), risquant même d’engendrer des effets pervers avec un retour des enclosures[8], c’est-à-dire de clôtures pour délimiter les propriété d’un terrain, à certains endroits pour s’assurer que le passage soit proscrit. Il n’empêche qu’il y a là, comme le remarque Nicolas Bernard, un potentiel « stimulant »[9] entrant dans une logique de partage et d’inclusion.

L’inscription des générations futures dans le Code Civil

Le nouvel article 3.43 ajoute au traditionnel usage commun à tous, l’utilisation dans l’intérêt général, en ce compris celui des générations futures (ce qui n’était au demeurant pas prévu dans le projet de réforme déposé[10]), témoignant d’une « certaine audace »[11] du législateur. Celui-ci justifie cet amendement en mettant l’accent sur le climat et l’écologie, étendant ainsi les choses communes aux semences et aux connaissances (bien immatériel) des sols :

« L’évolution actuelle de la société est telle que l’on prête toujours plus attention aux biens communs ou collectifs. Le changement climatique et une prise de conscience écologique et sociale croissante au sein de la population poussent de plus en plus de citoyens à gérer en commun des biens tels que les semences, les connaissances ou l’utilisation des sols, en prenant en compte les intérêts des générations futures.

La réforme du Code civil indique que le législateur apparaît sensible à sortir du dogme de l’appropriation et de la maitrise exclusive pour accueillir une forme d’inclusion, dans une logique de durabilité

Par conséquent, il s’indiquerait, dans le cadre du droit des biens également, de préciser que les choses communes sont utilisées en prêtant attention à l’intérêt des générations futures. »[12].

Ce faisant, le législateur fait preuve d’une ouverture à des nouvelles formes de choses communes, à côté des ressources naturelles classiques (eau, air, mer…), tout en restant en retrait face à une consécration plus marquée des communs dans le nouveau Code civil[13].

À côté de la définition des choses communes, un élément essentiel consiste en un usage commun à tous, rejoignant la préoccupation de l’accès. Mais cet usage est difficile à circonscrire. Ouvrirait-il un droit subjectif[14], voire un droit subjectif inclusif[15]ou devrait-on au contraire s’affranchir de toute logique individualiste et préférer réfléchir en termes d’intérêt[16] ? L’usage se fait par ailleurs dans l’intérêt général, tant des générations présentes que futures, devenant ainsi un intérêt « transindividuel », voire « transgénérationnel »[17]. Toutefois, les choses communes demeurent dans la marge du droit civil, et restent peu invoquées devant les juges.

En conclusion, la réforme du Code civil indique que le législateur apparaît sensible à sortir du dogme de l’appropriation et de la maitrise exclusive pour accueillir une forme d’inclusion, dans une logique de durabilité.

Marie-Sophie de Clippele – Professeure USL-B, Chaire en droit de la nature – droit de la culture

La présente contribution résume un article à paraître, M.-S. de Clippele, « La logique de durabilité du nouveau Code civil belge ouvre une (petite) porte aux communs », Revue Juridique de l’Environnement, 2023, à paraître.

Pour aller plus loin :

de Clippele, (M.-S.). Quel avenir pour les choses communes?. In: Jacques Sambon (coord.), L'environnement, le droit et le magistrat. Mélanges en l'honneur de Benoît Jadot, Larcier: Bruxelles, 2021, p. 553-582.

de Clippele, (M.-S.). La réception juridique diffuse des communs, au-delà du public et du privé. In: J. van Meerbeeck, A. Bailleux, D. Bernard (dir.), Distinction (droit) public / (droit) privé : brouillages, innovations et influences croisées, Presses Université Saint-Louis: Bruxelles, 2021.


Références

[1] V. Sagaert et P. Lecocq, « Het nieuwe goederenrecht: totstandkoming, krachtlijnen en overgangsrecht », in V. Sagaert et al.(éds.), Het nieuwe goederenrecht, Antwerpen, Intersentia, 2021, p. 21-23. Voy. aussi, V. Sagaert et S. Demeyere, « Le droit des biens et le droit de l’environnement: vers une réconciliation? », Journal des tribunaux, avril 2019, vol. 6770, n° 16, pp. 313‑323.

[2]Pour une analyse approfondie, voy. N. Bernard, « Le droit de propriété », in N. Bernard et al. (éds.), Le nouveau droit des biens, Bruxelles, Éditions Larcier, 2020, p. 85-139 ; C. Roussieau, « Le nouveau droit de propriété », N. Bernard et V. Defraiteur, Le droit des biens au jour de l’entrée en vigueur de la réforme, Bruxelles, Larcier, 2021, p. 111-142 ; D. Gruyaert, « Eigendom », V. Sagaert et al. (éds.), Het nieuwe goederenrecht, Property Law Series, Mortsel, Intersentia, 2021, p. 249-286.

[3]Projet de loi portant insertion du Livre 3 « Les Biens » dans le nouveau Code civil, Doc. parl., Ch., sess. 2018-2019, n° 3348/001, p. 126.

[4]Projet de loi portant insertion du Livre 3 « Les Biens » dans le nouveau Code civil, op. cit., p. 127-128.

[5] N. Bernard, « Le droit de propriété », in N. Bernard et al. (éds.), Le nouveau droit des biens, Bruxelles, Larcier, 2020, p. 139.

[6] J. Van de Voorde, Burenrecht, Bruxelles, die Keure, 2021, p. 272-284.

[7]« Il ne s’agit dans ce troisième alinéa que de pouvoir se rendre temporairement (y passer, y flâner ou y jouer quelques heures) sur cet immeuble non bâti ni cultivé. Et encore aux strictes conditions que le propriétaire de cet immeuble n’ait pas interdit clairement tout accès et que cela n’engendre aucun dommage pour ce propriétaire. », Projet de loi portant insertion du Livre 3 « Les Biens » dans le nouveau Code civil, op. cit., p. 168.

[8] Le terme fait également référence à un phénomène historique, notamment en Angleterre, consistant à clôturer des parcelles par des haies, des fossés ou des mur(et)s « qui s’est accompagnée du passage d’une forme communautaire à une forme individualiste d’économie agraire », Dictionnaire Le Larousse.

[9]N. Bernard, « Le droit de propriété », in N. Bernard et al. (éds.), Le nouveau droit des biens, Bruxelles, Éditions Larcier, 2020, p. 139.

[10] Voy. l’article 3.57 du projet : « Les choses communes ne peuvent être appropriées dans leur globalité; elles n’appartiennent à personne et leur usage, commun à tous, est réglé par des lois particulières. », Projet de loi portant insertion du Livre 3 « Les Biens » dans le nouveau Code civil, Doc. parl., Ch., sess. 2018-2019, n° 3348/001, p. 370.

[11] N. Bernard et V. Defraiteur, « La réforme 2020 du droit des biens. La modernisation dans la continuité (1re partie) », Journal des tribunaux, 2020, vol. 20, n° 6816, p. 417.

[12]Projet de loi portant insertion du Livre 3 « Les Biens » dans le nouveau Code civil, Doc. parl., Ch., sess. 2019-2020, n° 0173/002, p. 5.

[13]Les propos repris ci-dessous sont analysés de manière bien plus approfondie dans la contribution suivante : M.-S. de Clippele, « Quel avenir pour les choses communes? », in Mélanges Benoît Jadot, Bruxelles, Larcier, 2021, p. 537‑566.

[14] A. Carette, « Een subjectief recht op een volwaardig leefmilieu? », Tijdschrift voor Privaatrecht, 1998, p. 821‑888.

[15] J. Van de Voorde, « Les droits subjectifs inclusifs en droit belge, français et américain. Analyse à partir du droit aux choses communes (y compris la public trust doctrine), du droit à l’usage des voies publiques et du droit aux biens communaux », European Review of Private Law, 2020, n° 5, p. 1009‑1063.

[16]Ainsi, François Ost peine à lui reconnaître un tel droit, estimant qu’il y aurait une sorte de « paradoxe à raisonner dans les termes de la logique individualiste du droit subjectif au moment où l’on cherche à consacrer un nouveau type de rapport aux choses qui tend précisément à substituer la jouissance commune à la maitrise exclusive, l’usage collectif à l’appropriation, et la préservation à la libre disposition », F. Ost, Entre droit et non-droit : l’intérêt. Essai sur les fonctions qu’exerce la notion d’intérêt en droit privé, tome II de Droit et intérêt, 2, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, n° 49/2, Bruxelles, FUSL, 1990, p. 131.

[17] M.-P. Camproux Duffrene, « Repenser l’article 714 du Code civil français comme une porte d’entrée vers les communs », Revue interdisciplinaire d’études juridiques, 2018, n° 2, pp. 297‑330., p. 306 et M.-P. Camproux Duffrene, « La représentation de l’intérêt collectif environnemental devant le juge civil : après l’affaire Erika et avant l’introduction dans le Code civil du dommage causé à l’environnement », VertigO – la revue électronique en sciences de l’environnement, 2015, disponible sur http://journals.openedition.org/vertigo/16320 (Consulté le 3 avril 2022).

  • Durabilité en droit

    La durabilité est plus qu’un effet de mode. Il s'agit d'une responsabilité partagée. Jubel y contribue en réunissant différents experts qui examinent, d’un point de vue juridique, les questions environnementales et climatiques. L'importance du droit en tant qu'outil de durabilité collective et individuelle est centrale. De nombreux auteurs tentent d’y apporter une réponse à partir des différents domaines du droit. Nous pouvons citer le droit de la concurrence, des sociétés, le droit fiscal, les droits de l'homme, le droit pénal ou encore le droit européen. Le projet est sous la direction d’un comité scientifique Alain François (Hoogleraar VUB en Partner bij Eubelius Advocaten) Ludo Cornelis (Professor dr. Emeritus VUB) Sandra Gobert (Executive Director Guberna) Philippe Lambrecht (Professeur Centre de recherche interdisciplinaire Droit, Entreprise et Société (CRIDES) UCL) Jean-Marc Gollier (Advocaat EUBELIUS, Corporate Social Responsibility - Compliance (UCL - Louvain School of Management) Vous souhaitez rédiger un article sur la durabilité ? Contactez la rédaction de Jubel !

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