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16 Apr 2024 | Management & Deontology

Comment optimiser la collaboration entre avocats et juristes d’entreprise ?

Par IJE-IBJ

Comment la collaboration entre l’avocat et le juriste d’entreprise fonctionne-t-elle ? Comment un juriste d’entreprise choisit-il les avocats avec lesquels il souhaite travailler ? Comment les partenaires se mettent-ils d’accord sur les honoraires ? Et qu’attendent-ils l’un de l’autre ? L’Institut des juristes d’entreprise et les barreaux de Bruxelles ont réuni les deux professions pour une initiative commune : un séminaire passionnant sur le thème « optimiser la collaboration entre avocats et juristes d’entreprise ».

Une relation en mutation

Dans une réflexion introductive, Me Bernard Derveaux (Bâtonnier de l’Ordre néerlandais du barreau de Bruxelles), Me Emmanuel Plasschaert (Bâtonnier de l’Ordre français des avocats du barreau de Bruxelles) et Els Steen (Présidente de l’Institut des juristes d’entreprise, juriste d’entreprise Ahold Delhaize) abordent, chacun de leur point de vue, la relation entre l’avocat et le juriste d’entreprise.

Depuis la création de l’Institut des juristes d’entreprise (IJE) en 2000, le monde de l’entreprise a fondamentalement changé (à la suite d’affaires notoires telles qu’Enron et Lernout & Hauspie). Ces événements ont eu un impact majeur sur la profession et sur l’image du juriste d’entreprise. Ce dernier est devenu un partenaire stratégique de l’entreprise. La collaboration entre l’avocat et le juriste d’entreprise s’en est trouvée modifiée. Désormais, les deux professions se reconnaissent mutuellement comme des partenaires. Même si chacune a sa propre mission, elles se complètent. Les trois orateurs sont d’accord sur ce point. Et, fait remarquable, ce respect mutuel, cette volonté de travailler ensemble se marquent beaucoup plus dans notre pays qu’en France, par exemple.

Le début de la collaboration

Le séminaire se concentre sur deux thèmes couvrant l’ensemble de la collaboration : du début de celle-ci (comment choisir un avocat, comment conclure des accords transparents sur les conditions et les honoraires), à la collaboration effective (quels sont les facteurs garantissant une collaboration réussie, et qu’en est-il du détachement d’un avocat au sein de l’entreprise). Antoine Henry de Frahan (professeur associé à l’EDHEC Business School et consultant dans le secteur juridique) anime les débats.

Pour le premier thème, deux avocats s’entretiennent avec deux juristes d’entreprise : Me Martine Berwette (avocate associée Janson), Me Dirk Van Gerven (avocat NautaDutilh, managing partner, ancien bâtonnier de l’Ordre néerlandais des avocats du barreau de Bruxelles), Herman Van Hecke (juriste d’entreprise KBC Groupe, Vice-président IJE) et Els Steen.

Comment choisir un avocat ou être choisi comme avocat ?

Els Steen commence par une déclaration claire : « Je ne veux pas avoir l’impression d’être une cible ». Les cabinets d’avocats ne doivent pas se vendre avec des brochures luxueuses, ils n’ont pas besoin d’argumentaires de vente dans lesquels ils parlent principalement d’eux-mêmes. Au contraire. Il est essentiel qu’un avocat montre de l’intérêt pour l’entreprise, qu’il veuille entamer le dialogue. En d’autres termes, il s’agit avant tout de répondre aux besoins de l’entreprise. « Un avocat doit comprendre les besoins stratégiques de l’entreprise », ajoute Herman Van Hecke. En même temps, une banque recherche différents types de cabinets d’avocats : de grands acteurs internationaux et nationaux, mais aussi des cabinets locaux plus petits, dotés d’une expertise spécifique. Le profil doit donc correspondre aux besoins de la banque. Ils doivent avoir certaines caractéristiques communes : être proactifs, innovants, en phase avec le monde d’aujourd’hui et – plus important encore – avec celui de demain, ne pas avoir peur du risque…

Du côté des avocats, Martine Berwette et Dirk Van Gerven partagent ce point de vue. Pour assurer un bon service, il est crucial, en tant qu’avocat, de comprendre les besoins du client, de savoir à quoi sert le conseil. À cet effet, il faut regarder au-delà du présent, vers l’avenir. C’est de l’anticipation, estime Me Berwette. Dirk van Gerven, quant à lui, souligne la nécessité de « prendre le temps » de bien comprendre l’intention, les attentes de l’autre. Ce que les avocats ne font pas toujours. Il s’agit pourtant d’un investissement qui s’avère très rentable par la suite.

Les quatre intervenants s’accordent sur un point : l’avocat doit apporter une valeur ajoutée.

Comment optimiser le prix et les conditions du point de vue de l’avocat ou du juriste d’entreprise ?

Dans les grandes entreprises, c’est là qu’intervient le service des achats ( « procurement »). Il en allait différemment jusqu’à il y a une quinzaine d’années. Les prestataires de services juridiques n’étaient pas considérés comme des « fournisseurs » ordinaires, et le service des achats n’était pas impliqué. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. C’est parfois difficile. Il est particulièrement ennuyeux qu’un cabinet d’avocats avec lequel vous avez déjà établi une relation de confiance doive passer par ces tracasseries administratives. En revanche, cela offre aussi des perspectives au marché. Les nouveaux cabinets obtiennent ainsi des opportunités et peuvent également se faire connaître. Il est toutefois recommandé de demander au service juridique de faire une présélection, après quoi c’est au service des achats d’intervenir. L’intervention du service achat peut aussi permettre une évaluation régulière de la relation et donc offrir une opportunité d’amélioration de celle-ci. Dans l’ensemble, l’intervention d’un service des achats demeure l’exception plutôt que la règle. Ce sont surtout les grandes entreprises qui s’y tiennent. Ce n’est donc pas vraiment là que se situe le nœud de la négociation des honoraires. Le fait que les entreprises ont des budgets limités constitue un élément plus important. Les services juridiques font souvent partie des premiers postes sur lesquels des économies sont réalisées.

Il n’existe pas de tarif standard. De nombreux facteurs contribuent à déterminer les honoraires. Ceux-ci dépendent du service fourni par le cabinet d’avocats : s’agit-il d’un service de conseil, d’un service transactionnel ou d’un service de contentieux  ? Le contentieux est souvent le plus difficile à budgétiser. Les budgets jouent également un rôle : les honoraires doivent-ils être payés sur le budget annuel ou existe-t-il un budget distinct pour un projet spécial  ? S’agit-il d’un cabinet partenaire avec lequel vous avez des contacts hebdomadaires ou d’un cabinet qui fournit certains services juridiques strictement délimités pendant les pics d’activité  ? Et puis, bien sûr, il y a l’éternel débat entre le choix d’un taux horaire (qui semble toujours être la référence) et d’un taux forfaitaire. Une réponse univoque semble difficile à donner. Mais une chose est sûre : la transparence est de mise.

La collaboration effective

Quelles sont les opportunités offertes par l’intérim juridique et le détachement dans l’entreprise  ?

Valérie Hofman (CEO Vialegis) fait le point sur les opportunités offertes par le détachement et l’intérim juridique. Il y a une vingtaine d’années, l’intérim juridique était peu connu et délaissé en Belgique. Tant par les prestataires que par les clients. Les prestataires potentiels se demandaient si le travail serait assez intéressant, et les clients, si les prestataires de services offriraient une qualité suffisante. Au cours des deux dernières décennies, il a cependant gagné du terrain.

Cette popularité accrue s’inscrit naturellement dans le cadre d’une demande croissante de flexibilité, émanant tant du client que du prestataire de services. Les clients peuvent ainsi trouver rapidement le soutien adéquat (pour les projets temporaires), faire face aux pics d’activité, trouver des remplaçants temporaires ou faire appel à un savoir-faire spécifique (RGPD, ESG). Dans les entreprises en croissance, un legal interim manager est souvent le premier conseiller juridique interne, avant l’arrivée d’un juriste d’entreprise à temps plein. Les legal interim managers eux-mêmes, qu’il s’agisse de consultants ou d’avocats, recherchent la flexibilité (décider quand, comment et combien ils travaillent), la variété, la possibilité d’acquérir de nouvelles compétences et un bon équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Souvent, les jeunes avocats qui créent leur propre cabinet sont également attirés par ce type de travail.

Il faut cependant distinguer l’intérim juridique du détachement. Le détachement n’est ouvert qu’aux avocats qui travaillent temporairement (par exemple, quelques jours par semaine) dans une entreprise. L’indépendance de l’avocat est primordiale. Les barreaux ont donc élaboré un ensemble de règles déontologiques pour le détachement : de la manière dont l’avocat signe ses courriels à la durée de la mission.

Les avocats doivent-ils toujours se couvrir – mythe ou réalité ?

On dit souvent des avocats qu’ils sont peu enclins à prendre des risques. Qu’ils veulent toujours se couvrir (« d’une part, d’autre part »). Me Geoffroy Cruysmans (avocat, Chef de cabinet du bâtonnier de l’Ordre français des avocats du barreau de Bruxelles) l’aborde à partir de son expérience d’avocat. Il souligne que la grande majorité des cas de responsabilité a trait au non-respect des délais, et que seule une petite minorité concernerait un mauvais conseil juridique. Un avocat n’est pas obligé de tout citer dans ses consultations écrites, à condition de préciser qu’il s’agit, par exemple, de la jurisprudence majoritaire, sans pour autant indiquer qu’elle est inattaquable. En effet, donner des conseils juridiques n’est pas une science exacte. C’est donc à l’avocat de signaler les risques. L’avocat conseille, clarifie, éclaire, mais ne prend pas la décision finale, même si le client essaie parfois de lui transférer cette responsabilité. Me Cruysmans se demande également si certains avocats ne se sentent pas obligés de transmettre par écrit l’intégralité de leurs réflexions, et pas uniquement la conclusion, afin de justifier leurs honoraires.

Qu’attendent-ils l’un de l’autre ?

Quels sont les facteurs qui irritent et quels sont ceux qui mènent à une collaboration réussie ? Quatre experts se penchent sur ces questions : Vanessa Depoortere (juriste d’entreprise Belga Films), Me Vanessa Foncke (avocate associée Jones Day), Jan-Willem Geeroms (juriste d’entreprise, General Counsel Ontex) et Me Pierre-Yves Thoumsin (avocat associé Prioux Culot & Partners).

Vanessa Foncke souligne qu’elle souhaiterait être impliquée plus tôt, et pas seulement lorsqu’un litige est déjà survenu. En effet, des conseils prodigués à temps peuvent prévenir les litiges. Pourquoi, par exemple, un avocat spécialisé dans les litiges ne pourrait-il pas également jouer un rôle dans la rédaction des contrats ?

Vanessa Depoortere partage cet avis. Il s’agit avant tout d’établir une relation. Cela commence par une réelle compréhension des besoins de l’entreprise et va bien au-delà de l’expertise technique, dont, cela va sans dire que le cabinet d’avocats est censé disposer. Jan-Willem Geeroms complète en exposant ses attentes de base : expertise, bonne communication, action proactive et réactive, conseils de qualité. Mais ce n’est qu’un début. Une collaboration vraiment réussie se définit par trois aspects : (i) un déclic personnel, (ii) l’envie de travailler ensemble et (iii) la volonté d’apprendre à connaître profondément l’entreprise et de savoir où vous souhaitez aller ensemble. Cela se traduit par toutes sortes de détails, par exemple l’intérêt de connaître toute l’équipe juridique, et pas seulement le directeur juridique. Pierre-Yves Thoumsin confirme. Cette volonté d’apprendre à se connaître passe aussi par une visite physique de l’entreprise. Ne vous limitez donc pas à des réunions zoom. En fait, tout le monde est d’accord : apprendre à connaître l’autre, construire une relation humaine. Et montrer que vous apportez une valeur ajoutée.

Wim Putzeys, rédacteur en chef de Jubel

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