Le monde juridique est en pleine mutation. La technologie, et plus particulièrement l’intelligence artificielle, change fondamentalement la manière dont nous fournissons des services juridiques. Parallèlement, le rôle du juriste d’entreprise a évolué ces dernières années : d’un gardien du droit au sein de l’organisation, il est devenu un partenaire stratégique, un innovateur et un bâtisseur de ponts. Mais que signifient ce monde en mutation et ce rôle en évolution du juriste d’entreprise pour les compétences dont il aura besoin à l'avenir ?
L’IA automatise certaines tâches, mais pas toutes
Aujourd'hui, l’IA est capable de réaliser des tâches impressionnantes : analyse de contrats, évaluation des risques, contrôles de conformité, due diligence, et génération de clauses standard. Les algorithmes peuvent donc exécuter efficacement le travail juridique — en particulier les tâches répétitives — et ainsi en soulager le juriste d’entreprise.
Cela ne signifie pas pour autant que le professionnel du droit devient lui-même obsolète. Bien au contraire : l’automatisation du travail de routine place la barre plus haute pour le juriste d’entreprise, qui doit plus que jamais démontrer sa valeur ajoutée. Ce qui rend un juriste d’entreprise indispensable, ce sont justement ses compétences humaines. Non pas sa capacité à rechercher ou même à rédiger des clauses, mais son aptitude à les contextualiser, à les négocier, à en évaluer les risques et à les intégrer dans la stratégie globale de l’entreprise.
Curiosité : voir plus loin que le bout de son code
La curiosité est la volonté d’aller au-delà de l’évidence, de continuer à poser des questions et d’explorer des domaines en dehors de son domaine juridique de prédilection. Pour le juriste d’entreprise, cela signifie vouloir vraiment comprendre le fonctionnement de l’entreprise : pourquoi la direction prend-elle certaines décisions ? Comment la chaîne d’approvisionnement fonctionne-t-elle ?
Le juriste d’entreprise curieux ne se contente pas d’attendre qu’on l’associe à un projet ; il prend des initiatives. Par exemple, un juriste dans une entreprise technologique veut se plonger dans le machine learning non parce qu’il y est contraint, mais pour mieux comprendre les risques et opportunités liés aux produits développés par ses collègues.
L’apprentissage continu comme stratégie de survie
La curiosité va de pair avec l’envie d’apprendre.
Le monde juridique évolue rapidement : nouvelles lois, jurisprudence, avancées technologiques, attentes des parties prenantes. Celui qui ne s’adapte pas perd en pertinence.
Un juriste d’entreprise doit se former en permanence, mais également apprendre de ses propres expériences et de celles des autres, analyser des erreurs et être réceptif au feedback. Sa formation ne se limite pas au droit : elle englobe aussi les soft skills, les connaissances technologiques et la stratégie d’entreprise.
C’est aussi remettre en question ses propres idées (préconçues). Et aussi : oser reconnaître que l’on ne sait pas tout et que l’on peut et veut encore apprendre.
La créativité au service de l'innovation juridique
La créativité et le droit ne semblent pas faire bon ménage. Pourtant, dans un monde où les solutions standard sont automatisées, la valeur ajoutée du juriste résidera dans sa capacité à concevoir de nouvelles structures, à proposer des alternatives et à imaginer des solutions innovantes.
Supposons qu’une entreprise souhaite établir un nouveau type de partenariat avec un partenaire étranger sans qu’il n'existe de forme de contrat adaptée. Un juriste créatif pensera en scénarios, proposera des modèles répartissant les risques tout en favorisant la collaboration.
La créativité est également essentielle pour adapter une législation dépassée par les évolutions technologiques à la réalité actuelle du travail.
Une attitude critique comme boussole
L’information est abondante. L’IA peut fournir une analyse juridique basée sur des milliers de documents. Mais un juriste d’entreprise critique évaluera cette analyse : l’information est-elle fiable ? Les réponses sont-elles pertinentes pour le contexte spécifique de l’entreprise ? Quel conseil donner à l’entreprise dans toute cette complexité ?
La pensée critique consiste à établir des liens, à évaluer, à reconnaître les pièges et à détecter les incohérences. Il ne s’agit pas seulement de « ce que dit la loi », mais aussi de « quelles seront les conséquences si nous suivons cette voie ? »
Lors d’une fusion ou d’une acquisition par exemple, l’IA peut générer un rapport de due diligence, mais c’est le juriste d’entreprise qui doit évaluer quels risques sont réellement significatifs et quels engagements sont réalisables compte tenu de la culture d’entreprise.
Humanité : le juriste d’entreprise en tant qu’être humain parmi ses semblables
Le juriste d’entreprise est au cœur de l’organisation. Son engagement est donc essentiel : non seulement vis-à-vis des dossiers, mais aussi vis-à-vis des personnes derrière ces dossiers.
La vigilance, c’est une question d’empathie mais également de responsabilité. Dans un contexte d’entreprise, cela signifie prendre soin des collègues, des clients, des fournisseurs, mais aussi veiller à l’impact sur la société et l’environnement.
Le juriste d’entreprise qui incarne cette compétence évaluera non seulement la faisabilité juridique d’un projet, mais aussi son utilité pour la société. Par exemple, dans le déploiement d’outils d’IA par son entreprise, le juriste vigilant portera une attention particulière à la protection de la vie privée, à la non-discrimination et à la transparence.
La vigilance fait la différence entre une organisation juridiquement correcte et une organisation durable et éthique. C’est une compétence humaine, mais aussi une compétence stratégique.
L’humanité est donc étroitement liée à la compétence suivante : l’intégrité et le courage.
Intégrité et courage : le juriste d’entreprise comme phare d’éthique et de responsabilité sociétale
Le juriste d’entreprise ne se dérobe pas, il assume ses responsabilités et mobilise les autres
Le courage peut sembler grandiose mais il réside dans les petites choses : oser dire qu’un contrat comporte des risques même si la direction souhaite avancer, oser défendre des choix éthiques même s’ils ne sont pas les plus faciles, oser donner un feedback aux collègues, même plus haut placés dans la hiérarchie.
Sans courage, le juriste devient un béni-oui-oui ou un suiveur. Avec du courage, il devient un conseiller de confiance et un moteur d’innovation.
Conclusion : les compétences humaines font la différence
L’IA oblige le juriste d’entreprise à se réinventer. Ce qui était autrefois une compétence de base — analyse juridique, rédaction de contrats, interprétation — est en partie automatisé. Cela ne signifie pas que le juriste devient superflu, mais que l’accent est mis ailleurs.
Le juriste d’entreprise de demain restera un expert en droit, mais il sera bien plus que cela : un penseur, un bâtisseur de ponts, un stratège, un humain parmi les humains. Certaines compétences (douces) gagnent en importance. Elles définissent le profil du nouveau professionnel du droit : curieux et avide d’apprendre, créatif et critique, intègre et courageux, mais avant tout profondément humain.
Ceux qui développent ces compétences resteront pertinents — non pas malgré l’IA, mais précisément grâce à l’espace que l’IA crée pour une véritable valeur ajoutée humaine.
Wim Putzeys – Rédacteur en chef de Jubel
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