22 Apr 2021 | Tax & Private Equity

L’exonération de retenue à la source de la Directive mère-fille
  • Revue Fiscalité des Placements

    La fiscalité des produits d’épargne et de placement est en pleine évolution en Belgique, ainsi qu’au niveau européen. L’échange international d’informations financières concernant les comptes bancaires et produits d’assurance connaît souvent de nouvelles applications. Cette revue vous informera de manière systématique de ces nouvelles évolutions au niveau national et international en matière: - du traitement fiscal des produits de placement en Belgique et dans les pays limitrophes - des corporate actions - de l’échange d’informations financières - de l’évolution du secret bancaire - de la croissance de la transparence fiscale - de la protection de la vie privée La revue offre des articles d’actualités, ainsi que des analyses approfondies. Des spécialistes réputés proposeront une analyse rigoureuse des développements importants. Un comité de rédaction composé de représentants des secteurs financiers belge et européen, ainsi que de représentants des grands cabinets d’avocats ou des grands bureaux de fiscalistes, veilleront à la qualité des textes.

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Le 26 février 2019, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) rendait, en grande chambre, deux décisions de principe en matière de lutte contre l’évasion fiscale, que la pratique a tôt fait de rebaptiser les arrêts danois. L’une d’entre elles concernait deux affaires jointes dans lesquelles les autorités danoises avaient refusé d’appliquer l’exonération de retenue à la source de la Directive mère-fille (DMF) aux dividendes versés par des sociétés résidentes à leurs sociétés-mères, pourtant établies au sein de l’Union, mais qui les avaient elles-mêmes reversés – directement ou indirectement – à des sociétés, voire à des personnes physiques, établies en dehors de l’Union, et notamment dans des paradis fiscaux.

La saga judiciaire qui vient de trouver son aboutissement devant le Conseil d’Etat de France le 5 juin 2020 a donné l’occasion à cette juridiction – et surtout à son rapporteur public – de tirer les premières leçons de ces arrêts danois.

Les grandes étapes de l’affaire Eqiom et Enka

En 2005 et 2006, la société française Euro Stockage (aux droits de laquelle viendra la société Holcim, qui deviendra ensuite Eqiom), verse des dividendes à son unique actionnaire, la société luxembourgeoise Enka, sur un compte bancaire qu’elle détenait auprès de l’Anglo Irish Bank à Genève. Cette dernière société est elle-même détenue à plus de 99 % par Waverley Star Investments Ltd, société de droit chypriote, elle-même entièrement contrôlée par Campsores Holding SA, société établie en Suisse. 

Les dividendes d’une société française font en principe l’objet d’une retenue à la source, mais peuvent toutefois en être exonérés lorsqu’ils sont, attribués à sa société-mère, établie au sein de l’UE.

Enka entendait bénéficier de cette exonération sur les dividendes d’Euro Stockage, mais l’administration fiscale française la lui a refusée, exigeant le versement d’une retenue à la source de 25%.

Le premier fondement : l’abus

La législation française en vigueur à l’époque refuse l’exonération de retenue à la source prévue par la DMF lorsque « les dividendes distribués bénéficient à une personne morale contrôlée directement ou indirectement par un ou plusieurs résidents d’Etats qui ne sont pas membres de [l’UE] », à moins que ce bénéficiaire ne justifie que « la chaîne de participations n’a pas comme objet principal ou comme un de ses objets principaux de tirer avantage » de l’exonération (article 119 ter, point 3, du CGI). Euro Stockage et Enka ne parviennent toutefois pas à en convaincre l’administration.

Devant la cour, Holcim – venue aux droits d’Euro Stockage – et Enka tentent de démontrer que leur chaîne de participations n’a pas pour but de bénéficier de l’exonération de retenue à la source. Elles expliquent à cet égard que cette chaîne a été mise en place par les précédents actionnaires du groupe – des personnes physiques résidentes à Jersey – qui, lors de la cession du groupe à la société suisse, ont imposé à celle-ci de reprendre l’ensemble de la structure.

Soit. Mais vu les constatations de la cour de Versailles, l’on ne comprend pas en quoi l’interposition d’Enka entre Holcim et la société suisse pourrait avoir un objectif fiscal. Cette dernière aurait en effet pu prétendre, elle aussi, à une exonération de la retenue à la source en France si elle avait directement détenu les actions de Holcim et perçu les dividendes litigieux. Ces dividendes auraient, à notre connaissance, été exonérés par application de la convention préventive de la double imposition conclue entre la France et la Suisse ou par application de l’accord conclu entre l’UE et la Suisse.

Par son arrêt Eqiom et Enka, du 7 septembre 2017 (C-6/16), la CJUE condamnera la législation française sur deux fondements : elle viole non seulement la DMF, mais aussi la liberté d’établissement. La CJUE rappelle qu’en interdisant les retenues à la source sur les bénéfices qu’une filiale établie dans un Etat membre distribue à sa société mère, établie dans un autre Etat membre, la DMF limite les compétences fiscales des Etats membres et les empêche d’instaurer unilatéralement des mesures restrictives de cette exonération. La clause de sauvegarde – reflet du principe général du droit de l’UE selon lequel nul ne saurait bénéficier abusivement ou frauduleusement des droits qu’il confère – doit être interprétée strictement et autorise uniquement les Etats membres à appliquer les mesures nécessaires pour éviter les fraudes ou les abus, au sens que ces termes reçoivent en droit européen.

Le second fondement : la qualité de bénéficiaire effectif

Revoici les parties devant la cour de Versailles, où l’administration ne s’avoue pas vaincue.

C’est que l’article 119 ter du CGI ne se contente pas de prévoir la présomption d’abus qui sera condamnée par la CJUE. Cette disposition subordonne aussi – et d’abord – l’exonération de retenue à la source à la condition que la société qui en demande l’application « justifi[e] auprès du débiteur » des dividendes « qu’elle est [leur] bénéficiaire effectif ».

Devant la Cour, Eqiom et Enka soutiennent d’abord que cette exigence est une transposition irrégulière de la DMF. De fait, le texte de la DMF prévoit uniquement que « les bénéfices distribués par une filiale à sa société mère sont exonérés de retenue à la source », sans exiger que cette dernière bénéficie effectivement de ces revenus, ni a fortiori qu’elle le démontre.

Et la cour décide qu’Enka ne peut être caractérisée comme bénéficiaire effectif – ou réel – des dividendes litigieux puisque, comme le faisait valoir l’administration, elle ne parvient tout simplement pas à démontrer que c’est bien elle qui a reçu ces revenus. Rien ne prouve en effet, selon la cour, que le compte sur lequel ces dividendes ont été versés, ouvert auprès de l’Anglo Irish Bank à Genève, est bien celui d’Enka.

Eqiom et Enka portent une nouvelle – et ultime – fois l’affaire devant le Conseil d’Etat, qui clôt le dossier par un arrêt lapidaire rendu ce 5 juin 2020.

Quelques mois plus tôt, la CJUE rendait ses deux arrêts danois, dont l’un concerne la DMF. Le Conseil d’Etat déduit de cet arrêt que « la qualité de bénéficiaire effectif des dividendes doit être regardée comme une condition du bénéfice de l’exonération de retenue à la source prévue par [la DMF] ». La demande d’annulation d’Eqiom et Enka est rejetée.

Les enseignements de l’arrêt du 5 juin 2020

La qualité de bénéficiaire efefctif : une codition objective ?

Dans les arrêts danois, et plus précisément dans l’arrêt qui porte sur la DMF, la CJUE consacre sans détour certains principes fondamentaux. Elle confirme l’application à la fiscalité directe du principe général selon lequel les contribuables ne peuvent se prévaloir frauduleusement ou abusivement des bénéfices que leur confère le droit de l’Union, tels que l’exonération de retenue à la source prévue par la DMF. Elle affirme en outre qu’en présence d’un abus, les autorités des Etats membres n’ont pas seulement la faculté, mais l’obligation, de refuser ces bénéfices aux contribuables, et cela même en l’absence d’une disposition anti-abus en droit interne, par application directe de ce principe général.

La CJUE a aussi défini la notion de bénéficiaire effectif comme visant l’« entité qui bénéficie réellement des intérêts qui lui sont versés », à savoir « non pas [le] bénéficiaire identifié formellement, mais bien l’entité qui bénéficie économiquement des intérêts perçus et dispose dès lors de la faculté d’en déterminer librement l’affectation ».

En revanche, sur d’autres questions, la CJUE a, selon nous, été moins assertive. Ainsi, si elle consacre indiscutablement l’importance de la notion de bénéficiaire effectif dans le cadre de la DMF, elle reste ambivalente quant à la question de savoir si cette qualité est une condition objective de l’application de cette directive, indépendante de l’abus (interprétation extensive) ou si, au contraire, elle ne constitue qu’un élément d’appréciation – quoique majeur – de l’existence d’un abus (interprétation restrictive). Dans le premier cas, la circonstance que la société qui reçoit un dividende n’en soit pas le bénéficiaire effectif suffit, seule, à exclure l’exonération de retenue à la source de la DMF. Dans le second cas, cette circonstance n’est qu’indice – quoique sérieux – d’abus fiscal qui, à condition qu’il soit avéré, impose aux autorités de l’Etat de la source de refuser l’exonération du dividende (interprétation restrictive).

La preuve de la qualité de bénéficiaire effectif incombe au contruable

L’établissement de l’existence d’un abus incombe aux autorités fiscales, mais la preuve de la rencontre des conditions objectives qui subordonnent l’exonération de retenue à la source de la DMF – dont ferait partie la qualité de bénéficiaire effectif – incombe au contribuable qui en demande l’application.

S’il échoue à apporter cette preuve, l’administration est en droit de lui refuser l’exonération sans qu’elle ne soit tenue d’identifier celui qui bénéficie effectivement des revenus. Cette preuve pourrait en effet lui être impossible à apporter.

Lorsque le bénéficiaire effectif est néanmoins identifié comme une société au sein de l’eu

Si l’on peut admettre que, dans l’arrêt du 26 février 2019, la CJUE consacre la qualité de bénéficiaire effectif comme une condition objective de l’exonération de retenue à la source de la DMF, il faut aussi reconnaitre que cette affirmation est limitée aux cas où « le bénéficiaire effectif d’un paiement de dividendes a sa résidence fiscale dans un État tiers » (para. 111). La CJUE ne s’est pas prononcée sur le cas où ce bénéficiaire serait en revanche une société établie au sein de l’UE, qui aurait pu bénéficier de l’exonération si elle avait directement perçu les dividendes et détenu la participation éligible.

Félix Teichmann, Avocat Arteo

Vous pouvez lire le texte intégrale, « L’exonération de retenue à la source de la Directive mère-fille est-elle réservée aux sociétés mères qui sont les bénéficiaires effectifs des dividendes de leurs filiales ? Le Conseil d’Etat de France se prononce » dans Revue Fiscalité des Placements, no. 14.

  • Revue Fiscalité des Placements

    La fiscalité des produits d’épargne et de placement est en pleine évolution en Belgique, ainsi qu’au niveau européen. L’échange international d’informations financières concernant les comptes bancaires et produits d’assurance connaît souvent de nouvelles applications. Cette revue vous informera de manière systématique de ces nouvelles évolutions au niveau national et international en matière: - du traitement fiscal des produits de placement en Belgique et dans les pays limitrophes - des corporate actions - de l’échange d’informations financières - de l’évolution du secret bancaire - de la croissance de la transparence fiscale - de la protection de la vie privée La revue offre des articles d’actualités, ainsi que des analyses approfondies. Des spécialistes réputés proposeront une analyse rigoureuse des développements importants. Un comité de rédaction composé de représentants des secteurs financiers belge et européen, ainsi que de représentants des grands cabinets d’avocats ou des grands bureaux de fiscalistes, veilleront à la qualité des textes.

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