Les nouvelles armes du fisc européen : quels risques pour les contribuables ? cover

4 Jul 2023 | Tax & Private Equity

Les nouvelles armes du fisc européen : quels risques pour les contribuables ?
  • Revue Fiscalité des Placements

    La fiscalité des produits d’épargne et de placement est en pleine évolution en Belgique, ainsi qu’au niveau européen. L’échange international d’informations financières concernant les comptes bancaires et produits d’assurance connaît souvent de nouvelles applications. Cette revue vous informera de manière systématique de ces nouvelles évolutions au niveau national et international en matière: - du traitement fiscal des produits de placement en Belgique et dans les pays limitrophes - des corporate actions - de l’échange d’informations financières - de l’évolution du secret bancaire - de la croissance de la transparence fiscale - de la protection de la vie privée La revue offre des articles d’actualités, ainsi que des analyses approfondies. Des spécialistes réputés proposeront une analyse rigoureuse des développements importants. Un comité de rédaction composé de représentants des secteurs financiers belge et européen, ainsi que de représentants des grands cabinets d’avocats ou des grands bureaux de fiscalistes, veilleront à la qualité des textes.

Depuis plus d’une décennie, les administrations fiscales de l’Union Européenne font usage du datamining, de l’intelligence artificielle et du machine-learning pour opérer leur prérogatives fiscales. En 2019, l’OCDE rapportait déjà que plus de 40 administrations fiscales dans le monde utilisaient l’intelligence artificielle, particulièrement pour effectuer une sélection de contribuables pour des contrôles subséquents.[1] En Union Européenne, au moins 19 des 27 États-Membres (70%) font quotidiennement usage de l’intelligence artificielle à des fins fiscales.[2]

L’intelligence artificielle comme outil de gouvernance fiscale

Dès lors il apparait comme clair qu’en une décennie, l’intelligence artificielle s’est imposé comme un outil majeur de gouvernance fiscale. Dans les États-Membres cités ci-dessus, chaque étape qui mène à la sélection d’un contribuable pour un contrôle est maintenant supportée par l’usage de nouvelles technologies.[3] L’on dénote deux catalyseurs principaux à la transformation numérique des administrations fiscales :

  • Premièrement, les réformes fiscales successives qui ont eu pour effet de continuellement augmenter la charge administrative des agents du fisc. Par exemple, les directives de l’Union Européenne et de l’OCDE en matière d’échange de données fiscales tel que les DAC[4], CRS-FATCA[5] ou les déclarations pays par pays[6], ont décuplé la charge administrative à la fois pour les professionnels du secteur et pour les agents du fisc.
  • Deuxièmement, depuis la crise financière et économique de 2008, la fameuse crise des ‘sub-primes’, les administrations ont graduellement perdu une proportion non-négligeable de leurs effectifs humains. Par exemple, en Belgique depuis 2008, le SPF Finances opère avec environ un tiers de ressources humaines en moins.[7]Par conséquent, l’on demande aux agents du fisc de faire plus avec moins de ressources humaines, une équation qui automatiquement pointe vers la nécessité d’automatiser un certains nombres de processus et d’user de moyens technologiques.

Depuis plus d’une décennie, les administrations fiscales de l’Union Européenne font usage du datamining, de l’intelligence artificielle et du machine-learning pour opérer leur prérogatives fiscales.

Qu'est ce que c'est le datamining et l’intelligence artificielle?

Viens alors la question de ce qu’est techniquement et légalement le datamining, l’intelligence artificielle et le machine-learning. En partie à cause d’Hollywood et de ces nombreux récits de sociétés futures dystopiques, le terme intelligence artificielle est drapé d’une aura autant mystérieuse qu’inquiétante.[8]Cependant, les outils technologiques utilisés par le fisc européen sont bien loin des ‘Terminator’, ‘Skynet’ et autres itérations cinématographiques de systèmes intelligents et conscients. En réalité, les termes datamining, intelligence artificielle et machine-learning dénotent un même type de technologie : le traitement de données automatisé à l’aide de statistiques.

Certains outils technologiques, comme les assistants conversationnels virtuels ou ‘chatbots’ sont développés spécifiquement pour apporter une aide aux contribuables en besoin de réponses.

Similairement aux statistiques en général, l’emploi de statistiques par le fisc n’est pas systématiquement contraignant pour les contribuables. Certains outils technologiques, comme les assistants conversationnels virtuels ou ‘chatbots’ sont développés spécifiquement pour apporter une aide aux contribuables en besoin de réponses. Dans les États-Membres où de tels chatbots ont été mis en place, la réception fût très positive. À la fois pour l’administration fiscale qui rapporte une réduction du nombre d’emails envoyés directement aux agents du fisc, et pour les contribuables qui bénéficient d’un nouveau canal de communication avec le fisc au-delà des heures standards d’ouverture des agences.

Webscraping

Néanmoins, la majorité des systèmes d’intelligence artificielle du fisc européen sont utilisés à des fins contraignants pour le contribuable, en particulier pour effectuer une sélection de contribuables pour des contrôles ciblés.[9]En ce sens, les systèmes de webscraping, qui surveillent l’internet et collectent automatiquement les données des contribuables en ligne, ou les systèmes d’analyse de réseaux qui déduisent les interactions sociales quotidiennes de chaque contribuable, peuvent être cités comme exemples de modèles contraignants, voire délétères pour les droits fondamentaux. Sommairement, les administrations fiscales analysent les données transactionnelles et personnelles des contribuables avec des algorithmes afin d’extraire les corrélations récurrentes aux cas de fraudes et non-conformités fiscales, aussi appelées ‘indicateurs statistiques de risques’[10]. Ces indicateurs forment ensemble un modèle statistique qui est subséquemment utilisé pour informer des contrôles ciblés, sur les contribuables ayant dépassé un certain seuil de risque. Autrement dit, les indicateurs de risques extraits à l’aide des systèmes d’intelligence artificielle servent à quantifier de manière statistique le risque associé à chaque contribuable.

Des risques pour le contribuable

Bien qu’élémentaire, en particulier comparativement à des systèmes complexes tels que ChatGPT[11] ou Google Bard[12], les outils technologiques du fisc présentent néanmoins des risques accrus de conflits avec les droits fondamentaux du contribuable. Par exemple, les systèmes de webscraping et d’analyse de réseaux ont décuplé les capacités de collecte et de traitement de l’information de l’administration, sans amendement ou refonte du code de procédure pour limiter les risques d’abus. Une réelle tendance peut être observée au sein de l’Union Européenne, où l’administration se modernise à une très grande vitesse, sans aucune règlementation et sans réel intérêt du législateur. Or l’usage de statistiques, même élémentaire requiert un cadre législatif clair et précis, afin de mitiger les risques pour le droit à la vie privée, à la protection des données ou à la non-discrimination des contribuables. En plus d’une décennie d’usage de l’intelligence artificielle par le fisc européen, ce dernier point semble toujours faire défaut. Les risques d’un manque d’encadrement de ces systèmes se sont déjà matérialisés lors de la ‘toeslagenaffaire’ aux Pays-Bas, où l’intégration de l’intelligence artificielle pour la détection de fraudes aux allocations familiales s’est soldé en un échec cuisant. En sept années d’usage, le modèle a commis 94% d’erreurs[13], a causé des dommages estimés à 5 milliards que l’État néerlandais devra rembourser[14], la discrimination d’environ 40,000 contribuables[15]et la séparation forcée d’enfants de leurs parents[16]. Or depuis cet événement, la réponse du législateur européen et des États-Membres est aux abonnés absents. Un silence inaudible qui pose de nombreuses interrogations sur la transformation numérique des institutions régaliennes et la direction à suivre pour les administrations fiscales.

David HadwickDoctorant au Centre of Excellence DigiTax de l’Université d’Anvers, et Aspirant au Fonds voor Wetenschappelijk Onderzoek (FWO) ‘numéro de bourse 11J1524N


Reférences

[1] OECD, Artificial Intelligence in Society (OECD Publishing, 2019), p. 64.

[2] L’auteur a développé un site internet qui comprend tous les modèles utilisés par le fisc européen, voir : https://www.uantwerpen.be/en/projects/aitax/country-reports/

[3] D. Hadwick, ‘Behind the One-Way-Mirror: Reviewing the Legality of EU Tax Algorithmic Governance’ in EC Tax Review (2022), Vol. 31, Issue 4, pp. 1-31.

[4] DAC est l’acronyme utilisé pour les Directives sur la coopération administrative, par ex. Directive 2011/16/UE relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal entre les états membres de l’UE, au nombre de sept avec la dernière Directive 2021/514 entré en force le 1erJanvier 2023, et probablement huit dans les années qui suivent.

[5] CRS est l’acronyme pour ‘Common Reporting Standard’, une initiative de l’OCDE pour créer un standard global d’échange d’information financières, convention signée par plus de 100 juridictions dans le monde. FATCA est l’acronyme pour Foreign Account Tax Compliance Act, une loi des USA qui oblige les détenteurs américains d’actifs de reporter ces actifs par le biais d’institutions financières.

[6] Les declarations pays par pays ou ‘Country-by-Country Reports’ font partie du projet BEPS de l’OCDE, Action 13, et oblige les multinationales a déclarer certaines informations financières pour chaque juridiction où ils sont actifs.

[7] L. Fulton, ‘The Impact of Austerity on Tax Collection’ EPSU Report n° 3 (2020), pp. 17-18; Les chiffres reportés par Fulton (2020) terminent à 2018, mais ont été complétés par les derniers chiffres de moyens en personnel reportés par le SPF Finances, voir : https://finances.belgium.be/fr/sur_le_spf/moyens-en-personnel/moyens-en-personnel-2022

[8] Par ex. ‘Blade Runner’ (1982); ‘The Terminator’ (1984); ‘The Matrix’ (1999) ; ‘I, Robot’ (2004).

[9] D. Hadwick, ‘Behind the One-Way-Mirror: Reviewing the Legality of EU Tax Algorithmic Governance’ in EC Tax Review (2022), Vol. 31, Issue 4, pp. 1-31.

[10] Loi du 3 août 2012 portant dispositions relatives aux traitements de données à caractère personnel réalisés par le Service Public Fédéral dans le cadre de ses missions, Art. 5, 4°.

[11] ChatGPT est un chatbot développé par OpenAI, voir : https://openai.com/blog/chatgpt

[12] Bard est un chatbot développé par Google : https://bard.google.com/?utm_source=sem&utm_medium=cpc&utm_campaign=us-bard-bkws-exa&utm_content=rsa&hl=en

[13] Autoriteit Persoonsgegevens, Belastingdienst/Toeslagen – De verwerking van de nationaliteit van aanvragers van kinderopvangtoeslag, Rapport no. z2018-22445 (2020), p. 25.

[14] J. Frederik, “De compensatieregeling voor de toeslagenaffaire is een fiasco van 5,5 miljard. Wat nu?”, De Correspondent, 2 February 2022: <https://decorrespondent.nl/13097/de-compensatieregeling-voor-de-toeslagenaffaire-is-een-fiasco-van-5-5-miljard-wat-nu/787932533003-ef601d9e>

[15] Tweede Kamer der Staten-Generaal, Eindverslag Parlementaire ondervragingscomissie Kinderopvantoeslag “Ongekend Onrecht”, pp. 3-7 (2020); Autoriteit Persoonsgegevens, Belastingdienst/Toeslagen – De verwerking van de nationaliteit van aanvragers van kinderopvantoeslag, Rapport no. z2018-22445 (2020), p. 25; S. Ranchordas and L. Scarcella, ‘Automated Government for Vulnerable Citizens: Intermediating Rights’ (October 7, 2021). William & Mary Bill of Rights Journal, 2021 (Forthcoming), University of Groningen Faculty of Law Research Paper No. 11/2021, SSRN: https://ssrn.com/abstract=3938032

[16] L. Kok, “Kabinet: Mogelijk meer dan 1115 kinderen in toeslagenaffaire gedwongen uit huis geplaatst”, AD, 21 October 2021: <https://www.ad.nl/politiek/kabinet-mogelijk-meer-dan-1115-kinderen-in-toeslagenaffaire-gedwongen-uit-huis-geplaatst~ad7a83e4/>

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    La fiscalité des produits d’épargne et de placement est en pleine évolution en Belgique, ainsi qu’au niveau européen. L’échange international d’informations financières concernant les comptes bancaires et produits d’assurance connaît souvent de nouvelles applications. Cette revue vous informera de manière systématique de ces nouvelles évolutions au niveau national et international en matière: - du traitement fiscal des produits de placement en Belgique et dans les pays limitrophes - des corporate actions - de l’échange d’informations financières - de l’évolution du secret bancaire - de la croissance de la transparence fiscale - de la protection de la vie privée La revue offre des articles d’actualités, ainsi que des analyses approfondies. Des spécialistes réputés proposeront une analyse rigoureuse des développements importants. Un comité de rédaction composé de représentants des secteurs financiers belge et européen, ainsi que de représentants des grands cabinets d’avocats ou des grands bureaux de fiscalistes, veilleront à la qualité des textes.

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