Les écrits et signatures électroniques – effets du nouveau droit de la preuve

9 Dec 2021 | Civil Law & Litigation

Les écrits et signatures électroniques – effets du nouveau droit de la preuve
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La loi du 13 avril 2019 portant création d’un Code civil et y insérant le nouveau Livre 8 intitulé « La preuve » est entrée en vigueur le 1er novembre 2020. L’un des objectifs principaux de ce nouveau Livre est notamment de clarifier et de mieux structurer la matière du droit de la preuve. Il s’agissait aussi d’adapter ce droit à l’environnement numérique et aux nouvelles technologies qui ont un impact indéniable sur les moyens probatoires, en particulier les écrits et documents électroniques.

Les écrits électroniques n’étaient directement définis qu’à la combinaison de l’article XII.15 du Code de droit économique et l’article 1322 al.2 du Code civil. Complémentairement, c’est le règlement du 23 juillet 2014 relatif à l'identification électronique et aux services de confiance (dit «le règlement eIDAS ») qui régit la sécurisation des transactions électroniques, la signature électronique et ses effets juridiques. Le législateur belge a mis en application ce règlement suite à l’adoption de la loi du 21 juillet 2016 dite loi « eIDAS » qui a créé un cadre juridique complet et cohérent pour renforcer la confiance dans l’utilisation des services de confiance.

Services de confiance

La loi « eIDAS » a consacré une distinction fondamentale entre les services de confiance qualifiés et non qualifiés. Lorsqu’il s’agit de services de confiance électroniques qualifiés, la charge de la preuve repose sur la partie qui les conteste. Il lui appartient alors de prouver que la signature électronique, par exemple, n’est pas valide.

A l’inverse, lorsque les services de confiance électroniques sont non qualifiés, l’utilisateur de ce service (ex : une signature électronique) devra prouver sa validité et l’absence de manipulation, même s’il convient de préciser que les services de confiance non qualifiés bénéficient toute de même d’un principe de non-discrimination (ou non-répudiation), c’est-à-dire que l'effet juridique et la recevabilité du service de confiance non qualifié comme preuve en justice ne peuvent être refusés au seul motif que ce service se présente sous une forme électronique ou qu'il ne satisfait pas aux exigences du même service de confiance qualifié.

Signature électronique

Parmi les services de confiance visés par la législation, la signature électronique est particulièrement visée comme constituée de données sous forme électronique, qui sont jointes ou associées logiquement à d’autres données sous forme électronique et que le signataire utilise pour signer.

Cette définition couvre tous les types de signatures électroniques telles que les signatures manuscrites scannées, les signatures biométriques (la reconnaissance vocale, empreintes digitales, …) et les codes des cartes bancaires.

Il existe trois types de signatures électroniques :

  • Signature électronique "simple" : la signature scannée et placée informatiquement sur un document électronique. Cette signature n’a pas de force probante incontestable puisqu’elle n’est qu’une image apposée sur un document et ne permet pas nécessairement d’identifier de manière certaine la personne ayant signé le document ni d’assurer que le document n’a pas été modifié ensuite. Le juge est donc libre d’apprécier le caractère convaincant d’une telle signature (au moyen d’autres paramètres ou éléments le cas échéant) ;
  • Signature électronique avancée : une signature électronique pour laquelle des liens techniques existent entre les données signées, la signature et le signataire. L’objectif est de garantir l'intégrité des données, l'identification du signataire et la non-répudiation (ex : la signature biométrique utilisant une tablette Wacom, la signature réalisée après une vérification des papiers d’identité d’une personne par un applicatif dédié – Onfido, IDNow, Ubble,…). La force probante associée à cette signature est plus fiable que la précédente mais demeure contestable et en cas de contestation de sa validité, les parties devront prouver par tous les moyens légaux (témoins, e-mails, examen écrit par un expert…) que l'autre partie a effectivement signé.
  • La signature électronique « qualifiée » : il s’agit d’une signature électronique avancée mais fondée sur un certificat qualifié (obtenu auprès d’un service de certification officiel) et créée au moyen d'un dispositif de signature qualifié. Seule la signature qualifiée a une validité incontestable juridiquement et bénéficie systématiquement  de la même force probante qu’une signature manuscrite, avec tous les effets juridiques qui y sont liés. Elle permet de vérifier la paternité d'une déclaration lors de l'échange électronique de données sur de longues périodes. En Belgique, sont des signatures « qualifiées », les systèmes de signature électronique d’Universign, les certificats des cartes d’identité, les applications « Itsme » et « OneSpan Sign », …

L’objectif de ces signatures électroniques est de disposer d’un moyen d’engagement juridique fiable équivalent à une signature manuscrite. Comme exposé, seule la signature électronique « qualifiée » n’est juridiquement pas contestable.

Quid de la réforme ?

La réforme du droit de la preuve n’a pas manqué de mettre à jour et de rationnaliser le cadre légal « éparpillé » des écrits et signatures électroniques.

Tout d’abord, la notion d’ « écrit » a été définie :

  • « un ensemble de signes alphabétiques ou de tous autres signes intelligibles apposé sur un support permettant d'y accéder pendant un laps de temps adapté aux fins auxquelles les informations sont destinées et de préserver leur intégrité, quels que soient le support et les modalités de transmission ».

Ensuite, le nouveau Code civil précise à l’article 8.1, 2° et 3° la notion de « signature » et de « signature électronique » :

  • « signature: un signe ou une suite de signes tracés à la main, par voie électronique ou par un autre procédé, par lesquels une personne s'identifie et manifeste sa volonté ;
  • signature électronique: une signature conforme aux articles 3,10° à 3,12° du Règlement (UE) n° 910/2014 du Parlement européen et du Conseil du 23 juillet 2014 sur l'identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur et abrogeant la Directive 1999/93/CE ».

Réalités contractuelles

Le statut de la signature électronique ne change donc pas et demeure régit par le règlement et la loi « eIDAS ».

Toutefois, la réforme aborde les réalités contractuelles nouvelles qui nécessitaient une clarification quant à la force probante conférée aux documents et procédés électroniques divers tels que les SMS, échanges d’emails, messages (Facebook, Messenger, Whatsapp, Telegram,…)…

Dans cette perspective, les actes « sous signature privée » sont désormais décrits comme « un écrit établi en vue de créer des conséquences juridiques, signé par la ou les parties, avec l'intention de s'en approprier le contenu, et qui n'est pas un acte authentique ».

Les écrits peuvent donc être tant manuscrits qu’électroniques et disposent désormais de la même force probante comme l’expose l’article 8.18 du nouveau Code :

  • « L'acte sous signature privée fait foi de la convention qu'il renferme entre ceux qui l'ont signé et à l'égard de leurs héritiers et ayants cause ».

Toutefois, le nouveau Code conditionne la force probante de l’écrit sous seing privé. En effet, les travaux préparatoires expliquent que « La force probante d’un acte sous signature privée implique que la conviction du juge est liée par le contenu de l’acte ».

C’est pourquoi le législateur a souhaité que la définition de l’écrit explicite la nécessité de garantir son intégrité :

  • « Le mécanisme utilisé pour créer l’écrit doit idéalement empêcher la modification de l’information ou, à tout le moins, rendre cette modification détectable, afin de dissuader ses auteurs ou les tiers d’apporter des changements à l’information ».

Conditions

La première condition pour qu’un écrit électronique privé puisse bénéficier de la même force probante qu’un écrit manuscrit est qu’il est indispensable de garantir l’intégrité de l’écrit et donc rendre toute modification détectable et visible.

Les travaux préparatoires expliquent que « Il n’est pas nécessaire que la modification soit visible à l’écran. Il suffit qu’elle soit traçable dans le système utilisé. Un simple doute quant à l’intégrité d’un document ne suffit pas à considérer qu’il ne s’agit pas d’un écrit ».

La deuxième condition pour qu’un écrit électronique privé puisse se voir octroyer la force probante des actes sous signature privée est qu’il soit pourvu d’une signature.

L’équivalence de la signature électronique par rapport à son pendant papier est donc confirmée explicitement. Comme expliqué précédemment, le juge ne peut donc considérer une signature électronique comme non crédible, simplement parce qu’elle est électronique, en application du principe de non-discrimination.

Ainsi, une signature scannée, une signature à l’aide d’un stylo en plastique sur écran tactile ou une signature par code pin constituent bien une signature valable.

La réforme ne modifie pas le fait qu’une force probante plus élevée est conférée à certaines formes de signature électronique, comme expliqué précédemment, à savoir la signature électronique avancée et la signature électronique qualifiée.

Force probante

Si les deux conditions précitées sont remplies, l’écrit électronique doit être perçu légalement comme un acte sous signature privée et bénéficiera de la force probante réservée à cet acte comme explicité à l’article 8.18 du nouveau Code civil.

A l’opposé, si les conditions ne sont pas remplies, l’écrit électronique ne pourra plus être considéré comme un acte sous seing privé mais plutôt comme un commencement de preuve par écrit au sens de l’article 8.1. 7° du nouveau Code civil.

La réforme du droit de la preuve s’est donc appropriée le corpus juridique existant quant aux écrits et signatures électroniques, dont le contenu a été préservé, afin de l’appliquer aux nouvelles réalités contractuelles en posant de manière claire les conditions dans lesquelles un écrit ou une signature électronique dispose désormais d’une fiabilité suffisante pour être équivalent juridiquement à un écrit ou une signature manuscrite. Ce nouveau droit de la preuve va donc contribuer à renforcer la sécurité juridique des parties dans leurs engagements respectifs.

Les notions d’écrit et de signature ont également été définies de manière flexible afin de  pouvoir s’adapter à des réalités contractuelles futures qui sont encore non ou peu maitrisées. C’est notamment le cas des «smart contracts» qui sont des contrats qui s’appuient sur la technologie Blockchain pour rendre infalsifiables leurs termes et les conditions de leurs exécutions. Beaucoup de questions restent toutefois en suspens à ce sujet telles que les modalités de vérification des données inscrites dans la Blockchain, les possibilités de modification des informations inscrites ? Faut-il inclure un tiers de confiance numérique ?…

Maître Thameur Ellouze, avocat au barreau de Liège-Huy

L’avenir nous dira si la récente réforme est à même de catalyser ce genre de réalité future afin de fournir un moyen contractuel totalement infaillible et infalsifiable.

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