Au début de cette année, le nouvel article 6:3 du CC (Code civil) a suscité beaucoup d'émoi, y compris dans le monde des affaires. Très peu de temps après l'approbation du projet de loi, des messages alarmants sont apparus dans tous les médias ciblant le segment des administrateurs : la « suppression de la quasi-immunité de l'agent d’exécution » aurait des conséquences lourdes pour les salariés et les administrateurs. Dans ce premier article d'une série, Sandra Gobert (directrice exécutive de GUBERNA) présente les questions générales.
Ces derniers en particulier, souligne De Tijd, seraient exposés à un risque de responsabilité (encore une fois) accru :
« La rupture est la plus grande pour les administrateurs d'entreprises. Alors qu’aujourd’hui il faut une infraction pénale pour tenir personnellement responsable un administrateur d’un manquement de l’entreprise, désormais une simple erreur suffit.»[1]
Mais est-ce exact ?
Nous avons étudié cela pour vous par le biais de quelques questions pratiques, en collaboration avec nos experts Maître Coralie Mattelaer (Impact Advocats) et le Professeur Joeri Vananroye (Quinz, KULeuven ) lors du séminaire GUBERNA qui a eu lieu le 11 juin 2024 et sur la base d'une analyse plus approfondie des sources actuelles.
Heureusement, la réalité s’avère moins sensationnelle. Nous avons dès lors souhaité apporter de la nuance et mettre l’accent sur les ajustements que la nouvelle situation requiert dans l'organisation et l'exercice de votre mandat d’administrateur.
De quoi s'agit-il?
Eh bien, le nouvel article 6:3 du Code civil § 2 stipule: « Sauf si la loi ou le contrat en dispose autrement, les dispositions légales en matière de responsabilité extracontractuelle sont applicables entre la personne lésée et l'auxiliaire de ses cocontractants. »
Dans le jargon des administrateurs, cela signifie que lors de l'exécution des contrats par la société ou l'association, un cocontractant lésé peut se retourner :
- Sur la base de la responsabilité contractuelle : uniquement contre la société ou l'association (ceci n'est bien sûr pas nouveau)
- Sur la base de la responsabilité extracontractuelle : tant contre la société ou l'association que contre « l’auxiliaire » de la société ou de l'association (« auxiliaire » est la nouvelle dénomination légale de ce qui était auparavant appelé « agent d’exécution » par la jurisprudence).
Cela abolit donc « la quasi-immunité de l'agent d’exécution », ainsi appelée dans le jargon juridique, car dans l'ancien système il était quasiment impossible d'invoquer conjointement la responsabilité contractuelle et extracontractuelle d'un « agent d’exécution ».[2]
Le législateur veut ainsi mettre fin à la situation privilégiée de « l'agent d’exécution ou de l’auxiliaire jouissant de la quasi-immunité », telle qu'elle a été créée il y a un demi-siècle par le pouvoir judiciaire. [3]L'objectif était essentiellement de faire en sorte que dans une chaîne de clients, le client final puisse plus facilement s’adresser aux « auxiliaires » (à savoir : « les exécutants effectifs ») en cas de faillite d'un « intermédiaire ».[4]
La nouvelle disposition fait partie du livre 6 du nouveau Code civil, approuvé le 7 février 2024 et publié au Moniteur belge le 1er juillet 2025.[5] La loi entrera en vigueur le 1er janvier 2025 (le premier jour du sixième mois après celui de sa publication au Moniteur belge).
Il est encore tôt…
Lors du séminaire du 11 juin 2024, GUBERNA en collaboration avec Maître Coralie Mattelaer et le professeur Joeri Vananroye ont abordé les nombreuses questions pratiques qui ont surgi en réponse à ces communiqués de presse concernant une éventuelle augmentation de la responsabilité des administrateurs.
Les questions ont été posées par les membres de GUBERNA et par Leen Lefevere, Partenaire chez BDO Advisory, qui représentait BDO, le partenaire de GUBERNA en matière de PME. Nous avons regroupé ceci autour de trois thèmes :
- Que signifient les nouvelles règles dans la pratique ?
- Comment puis-je m'y préparer en tant qu’administrateur ?
- Comment ces dispositions peuvent-elles être interprétées conjointement avec d’autres dispositions légales ?
Sur la base des réponses apportées lors du séminaire et d'une exploration plus approfondie des conséquences de la réglementation à l'aide de sources existantes, cette contribution donne un aperçu de l'état actuel des choses.
Certaines réserves doivent être formulées.
Premièrement, il n'existe pas encore de jurisprudence disponible pour faire la lumière sur les interprétations possibles de la nouvelle disposition peu claire (du point de vue du droit des sociétés). Il est à ce sujet important de garder à l’esprit que le nouveau dispositif n’a pas été spécifiquement conçu pour les administrateurs. On pourrait soutenir que l’augmentation de la responsabilité des administrateurs est un dommage collatéral qui est une conséquence presque fortuite de la réforme de la « responsabilité extracontractuelle » mise en œuvre par le législateur. Ce manque de clarté concernant certaines notions peut conduire à une confusion des langues digne de la tour de Babel entre praticiens de différentes branches du droit.
Deuxièmement, cette contribution ne constitue pas une analyse juridico-technique exhaustive, mais se concentre sur l’identification des conséquences pratiques de la nouvelle réglementation pour les administrateurs d'entreprises et d'associations. Les autres « agents d’exécution » ou « auxiliaires » qui sont également (et peut-être principalement) visés par la nouvelle disposition ne sont par ailleurs pas abordés.
Pour finir, pour accroître la lisibilité, cette contribution divisera l’impact pour les administrateurs de la nouvelle disposition en cinq thèmes :
- Que signifie exactement cette nouvelle responsabilité ?
- Quelle est la différence entre cette nouvelle « responsabilité extracontractuelle » et une « erreur ordinaire de gestion » ?
- Tous les administrateurs sont-ils concernés par ces nouvelles dispositions ?
- Quelles erreurs peuvent donner lieu à cette responsabilité ?
- Quelles précautions peut-on prendre ?
Les questions et réponses discutées lors du séminaire sont largement intégrées à ces quatre thèmes. S'il existe certaines (sous)questions qui (n’)ont (pas) encore été (suffisamment) abordées, l’administrateur bien avisé est invité à rappeler cette question par e-mail à info@guberna.be, avec le titre de la contribution comme référence.
Que signifie exactement cette nouvelle responsabilité ?
Tout d’abord, les administrateurs souhaitent comprendre dans quelles circonstances ce nouveau motif de responsabilité les concerne.
Le nouvel article 6:3 du Code civil stipule que les règles en matière de responsabilité extracontractuelle peuvent également et de la même manière s'appliquer aux actions de « l'agent d’exécution » ou de « l’auxiliaire » d'une société ou d'une association, dans le cadre d'une relation contractuelle entre cette société ou association et un tiers.
Pour que ce nouvel article ait des conséquences pertinentes pour les administrateurs, quatre conditions doivent être remplies :
- l'existence d' une relation contractuelle entre la société ou l'association gérée et un tiers
- la société gérée est l'exécutant d'une obligation et le tiers, le client
- le ou les administrateurs de la société gérée peuvent être considérés comme « agent d’exécution – auxiliaire » agissant au nom et pour le compte de la société gérée
- « l’agent d’exécution- l’administrateur » doit pouvoir être mis en cause pour une erreur extracontractuelle
Un exemple frappant présenté lors du séminaire est un contrat de travaux entre les parties A et B, les travaux étant exécutés par C, administrateur de B, qui cause des dommages au bâtiment de A en agissant de manière imprudente.
Ce n'est que dans une telle relation contractuelle triangulaire que le cocontractant lésé A de la société aura le choix entre s’adresser à la société B, se retourner contre « l'agent d’exécution-auxiliaire » C ou attaquer les deux parties.
Visuellement cela peut être représenté comme suit [6]:
L'existence de cette relation triangulaire constitue donc la base de cette responsabilité externe envers un tiers contractant de la société-association.
Sandra Gobert
Cet article est la première partie d'une série d'articles de GUBERNA sur l'abolition de la quasi-immunité et son impact sur les administrateurs et les sociétés, basée sur le texte « La suppression de la « quasi-immunité des auxiliaires » : quelles modifications devez-vous apporter au sein de l'organisation et dans le cadre de l'exercice de votre mandat d'administrateur ? ». La semaine prochaine, nous aborderons la relation entre l'article 6:3 du Code civil et la « simple erreur de gestion ».
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