Ma grand-mère disait parfois : « Tu as manqué une occasion de te taire. » Une jolie formule pour faire taire quelqu’un qui dit une bêtise. Cela dit, soyons honnêtes : ma grand-mère elle-même parlait … beaucoup. Mais elle débordait de sagesse populaire. Alors, à force d’essais et d’erreurs, j’ai tenté de suivre son conseil et de me taire de temps à autre. Pas facile pour quelqu’un qui aime parler. Et j’ai appris à faire de la place au silence. Et à en grandir.

Et tu sais ce qui m’a vraiment aidé ? Je me suis entouré, de temps en temps, de « personnes silencieuses ». Ce genre de personnes avec qui on peut être tranquillement silencieux. Et quand on finit par parler avec elles ? On découvre souvent des gens fascinants. Je dois ici avouer que je ne suis pas totalement objectif. J’inclus mon épouse dans ce groupe sous-estimé des silencieux.

Bref, j’aimerais partager ce que j’ai appris sur le pouvoir du silence – et sur celui des personnes silencieuses.

Le pouvoir du silence

Nous vivons dans un monde bruyant. Du matin au soir, nous sommes bombardés de stimuli. Et que de bavardages ! Surtout chez les juristes, souvent très à l’aise avec les mots. Et c’est logique : ils gagnent leur vie avec leur verbe. Réunions, appels, discussions, plaidoiries… Le flot de mots semble inépuisable. Et cela peut être magnifique : une remarque brillante, un argument superbement formulé, une répartie percutante. Mais parfois, un peu de silence est bienvenu.

Le silence apaise le corps et l’esprit. Des études montrent que les moments de silence réduisent les hormones du stress, ralentissent le rythme cardiaque et aident même le cerveau à créer de nouvelles connexions. Contrairement à ce qu’on croit souvent, le silence n’est pas un vide, mais un état actif de l’être.

Il stimule la concentration et la créativité. Quand on élimine le bruit auditif, on crée de l’espace pour réfléchir. Et dans un domaine où la précision et la nuance sont cruciales, ce n’est pas un luxe. Les idées peuvent mûrir, les liens se tisser, les insights émerger.

Le silence ouvre aussi la porte à l’autre. Essayez ceci lors d’une conversation (professionnelle) : laissez volontairement un silence. Cela incite l’autre à parler. Pour un avocat ou un notaire, c’est un outil puissant. Cela donne à votre client l’espace pour exprimer ses vrais besoins. On ne remplit rien soi-même, on laisse venir.

Et oui, cela peut être un peu gênant au début. Nous ne sommes plus habitués au silence. On le vit comme un vide à combler. Mais ce malaise est un signal : il montre à quel point nous sommes devenus accros à la stimulation constante. Surtout quand on connaît peu son interlocuteur, cela peut déranger. Mais ceux qui osent affronter ce malaise ne le regretteront pas.

Le pouvoir des silencieux

Dans notre monde bruyant, il faut élever la voix pour être entendu. Combien de réunions avez-vous déjà vécues où celui qui parle le plus fort est valorisé. On lui fait confiance, car il paraît intelligent. Je ne dis pas que ceux qui parlent fort n’ont jamais rien d’utile à dire. Mais il est urgent de cesser de leur laisser systématiquement le devant de la scène. La valeur d’un propos ne dépend tout de même pas du volume de celui qui le formule ?

Les collègues introvertis – ou « silencieux », si vous préférez – qui ne prennent la parole que lorsqu’ils ont vraiment quelque chose à dire, sont souvent sous-estimés. Leur force réside précisément dans leur retenue. Ils réfléchissent avant de parler. Ils écoutent vraiment. Ils observent l’ensemble plutôt que de chercher à se mettre en avant.

On a tendance à croire que l’éloquence équivaut à la connaissance ou à l’autorité. Mais : « Quand tu parles, tu répètes ce que tu sais déjà. Quand tu écoutes, tu apprends peut-être quelque chose. » Une formule aussi belle que juste, attribuée au Dalaï Lama. Le silence offre davantage d’opportunités d’apprendre que la parole. Et celui qui tend l’oreille aux voix les plus discrètes dans une équipe découvre souvent des perspectives inattendues, des idées originales ou des observations simples mais justes, que tout le monde avait négligées.

Alors, donnez consciemment la parole à quelqu’un d’autre. Surtout à celui ou celle que vous entendez rarement. Pas par politesse, mais pour élargir votre regard. C’est une façon de remettre en question vos propres idées reçues. En bref, c’est la curiosité en action.

Et celui qui se tait souvent construit aussi une certaine attente. Tout comme le silence en musique crée de la tension, le fait de se taire rend une prise de parole d’autant plus puissante. Au lieu de se fondre dans le décor, la voix discrète devient un signal qu’on écoute avec plus d’attention.

Parler ou se taire : les deux sont d’or ?

Nous avons été formés à travailler avec les mots. À argumenter, structurer, plaider, convaincre. Et il faut absolument continuer à le faire. Mais cherchons aussi l’équilibre. N’oublions pas que la force de notre intervention dépend aussi de la qualité de notre silence.

Alors, chers collègues juristes, offrez-vous ces moments de silence. Et tendez l’oreille à ce « collègue silencieux » dans votre équipe. Il ou elle est peut-être le miroir dont vous aviez besoin. Non pas en parlant, mais en restant silencieux.

Et en guise de clin d’œil final, une mise en garde. Si vous ne savez pas de quoi vous parlez, mieux vaut vous taire. Car « “(it ‘s) better to remain silent and be thought a fool than to speak and remove all doubt ». Comme toute bonne citation, l’origine est floue. Était-ce Lincoln ? Twain ? Confucius ? Peu importe. L’essentiel, c’est que le message soit clair.

Wim Putzeys, rédacteur en chef de Jubel

Ce texte a été traduit du néerlandais. Lisez l'original ici.