En tant que juriste d’entreprise, vous passez une grande partie de votre temps de travail en réunion. La salle de réunion est presque le centre névralgique de l’entreprise. C’est là que les idées s’échangent, que les opinions s’expriment et que les décisions se prennent. Mais c’est aussi là que des tensions internes surgissent. Et c’est souvent dans ces moments que la colère ou la frustration font surface. La question n’est pas de savoir si ces émotions ont leur place en réunion, mais bien comment y faire face. L’expérience montre que les émotions que l’on tente de réprimer reviennent comme un boomerang. L’art consiste à leur faire une place de manière constructive.
Les émotions sont inévitables (et c’est normal)
Les émotions ne sont pas un élément perturbateur d’une discussion rationnelle. Elles en font simplement partie. Les êtres humains ne sont pas des machines, pas même sur leur lieu de travail. Lors des réunions, où les opinions se heurtent et où des décisions importantes doivent être prises, il est inévitable que les émotions fassent surface.
On a souvent tendance à penser que ces émotions troublent la sérénité et qu’elles n’ont pas leur place dans un contexte professionnel. On voudrait donc les éviter. Mais c’est précisément en ignorant les émotions que l’on crée de l’agitation. Ce qui ne peut être exprimé continue de couver et finit par perturber la coopération. Reconnaître les émotions et les aborder avec discernement est en réalité plus réaliste et plus professionnel.
Les émotions révèlent ce qui vit dans l’entreprise
Ne considérez donc pas la colère, la frustration ou l’irritation comme des « facteurs perturbateurs », mais comme des signaux. Elles indiquent où ça coince, où des limites sont franchies, où règnent l’insatisfaction, l’incertitude ou un sentiment d’injustice. Les émotions font remonter à la surface des problèmes de fond. En d’autres termes, elles constituent une précieuse source d’information.
Supposons que vous soyez en désaccord avec la manière dont un dossier est géré. Il est alors utile d’exprimer cette frustration pendant la réunion. Cela permet à l’équipe d’aborder le problème : existe-t-il une autre manière de traiter le dossier, ou bien quelqu’un peut-il vous convaincre que la stratégie actuelle est la bonne ? Si vous ravalez votre mécontentement, la frustration s’accumulera. Et tôt ou tard, elle ressortira : vous risquez alors d’envoyer un mail aux propos virulents et de paraître agressif ou destructeur. Ce qui aurait pu être dit de façon nuancée, constructive et humaine en réunion semblera vite hostile par écrit.
Concrètement : sept conseils pour donner une place aux émotions
Gérer les émotions ne relève pas de l’improvisation. Il est possible, dans une certaine mesure, d’adopter une approche rationnelle face aux émotions, qu’il s’agisse des siennes ou de celles des autres. Voici quelques techniques qui ont déjà fait leurs preuves sur le terrain. Elles laissent la place aux émotions sans les laisser dominer ou faire dérailler la réunion.
Le check-in comme point de départ
Une technique simple mais puissante est le check-in : un rapide tour de table où chaque participant indique en début de réunion comment il ou elle se sent. Quelqu’un a-t-il eu une matinée chargée ? Est-il enthousiaste à propos d’un sujet ? Ou bien préoccupé par quelque chose qui n’est pas à l’ordre du jour ?
Au début, cela peut sembler un peu étrange. Mais après quelques essais, la confiance grandit et chacun ose s’exprimer sincèrement. Résultat : tout le monde se sent vu et entendu avant même que la discussion de fond ne commence. Cela évite les tensions soudaines ou les réactions inattendues.
Un ordre du jour clair et pas de surprises
Les émotions s’enflamment face à l’incertitude. Prévoyez donc toujours un ordre du jour clair, partagé à l’avance. Avez-vous un point sensible à aborder ? Indiquez-le clairement. Ainsi, chacun peut se préparer, réfléchir calmement et adopter une position. Si vous prenez vos collègues au dépourvu avec un sujet difficile, leurs réactions seront souvent impulsives ou défensives – ce qui ne fait pas avancer les choses.
Placez le point le plus délicat en tête de l’ordre du jour. Souvent, nous avons tendance à éviter les conflits et à repousser les sujets sensibles. Mais ne pas les nommer dès le départ fait planer une épée de Damoclès sur toute la réunion. Mieux vaut affronter la difficulté immédiatement. Les participants sont alors encore frais et dispos, et il reste assez de temps pour traiter le sujet en profondeur. Vous ne voulez pas bâcler un sujet si important, n’est-ce pas ?
De l’espace, mais avec des limites
Les émotions méritent une place, mais n’ont pas carte blanche. Les bons présidents (et participants) écoutent attentivement, décrivent ce qu’ils observent (« je vois que tu es frustré, est-ce exact ? ») et sont reconnaissants. En parallèle, des limites claires sont nécessaires : les attaques personnelles ou les éclats de voix ne sont pas acceptables.
Si la situation dégénère, n’ayez pas peur de faire une pause. Prendre un peu de recul aide à rétablir le calme. Si quelqu’un quitte la salle, ne courez pas derrière lui ; prévoyez plutôt une discussion ultérieure pour rétablir le contact.
Rappelez-vous : demain, vous devrez encore travailler ensemble
Après un conflit, il est tentant de revenir sans cesse sur l’incident. Mais une fois le différend exprimé, laissez-le reposer. Dans une équipe, il faut pouvoir continuer à collaborer. Exprimer ses émotions n’est pas un passe-droit pour ressasser les reproches. L’objectif ultime est toujours de restaurer la relation et de renforcer la coopération.
Conclure sur une note positive
La fin d’une réunion mérite aussi votre attention. Un check-out positif est idéal : une courte question comme « Qu’allez-vous retenir de cette réunion ? » ou « Qu’est-ce qui vous a donné de l’énergie ? » permet de garder une atmosphère légère et constructive.
Ainsi, vous évitez que la réunion ne se termine par des phrases négatives du type « Qu’est-ce qui nous reste encore à faire ? » ou « Qui se sent encore surchargé ? ». Bien sûr, il peut rester des points de friction ou des zones d’ombre, mais veillez à ce qu’ils soient exprimés plutôt que de laisser s’installer une insatisfaction latente.
Une mise en garde : attention aux émotions stratégiques
Toutes les émotions ne sont pas spontanées ou sincères. Certaines sont utilisées comme un levier stratégique : pour exercer une pression, susciter la pitié ou influencer des décisions. Soyez donc attentif à la différence entre les sentiments authentiques et les comportements manipulatoires.
Cela demande de l’expérience et de l’intuition. Un premier indice est souvent la répétition ou la réaction disproportionnée : si quelqu’un se dit « blessé » à chaque signe d’opposition, ou toujours « déçu » face à d’autres avis, cela vaut la peine d’interroger l’intention derrière ces émotions.
N’oubliez pas les émotions positives
Les émotions ne sont pas seulement gênantes ou négatives. Au contraire. L’engagement, l’enthousiasme, la fierté et l’inspiration sont aussi des émotions, et elles ont une valeur inestimable en réunion. Elles apportent de l’énergie, renforcent la cohésion d’équipe et motivent les collaborateurs à contribuer.
Donnez donc aussi une place aux émotions positives. Soulignez quand vous êtes heureux d’une intervention, exprimez votre appréciation des efforts fournis et célébrez les petits succès. Les gens aiment travailler dans un environnement où les sentiments ne sont pas seulement tolérés, mais valorisés.
Conclusion : les émotions, ça marche
Les émotions ont leur place sur le lieu de travail, surtout en réunion. Elles ne sont pas un bruit parasite gênant, mais une source essentielle d’informations sur ce qui vit au sein de votre entreprise ou de votre organisation. Celui qui apprend à écouter les émotions – les siennes et celles des autres – renforce la collaboration, accroît la compréhension mutuelle et prévient les escalades.
En organisant les réunions de manière consciente – avec un check-in, un ordre du jour clair, de l’espace et des limites, et une clôture positive – vous donnez aux émotions une place sans leur laisser les commandes. Car une communication professionnelle n’est pas dénuée d’émotions, elle est émotionnellement intelligente.
Wim Putzeys, rédacteur en chef de Jubel
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