Cet été marque le cinquantième anniversaire de la sortie en salle des Dents de la mer de Steven Spielberg. Ce thriller haletant a connu un immense succès et est considéré dans le monde du cinéma comme le point de départ des blockbusters estivaux. Pourtant, rien ne laissait présager un tel triomphe durant le tournage, qui fut entaché d’une série de revers. La confiance des producteurs dans ce jeune réalisateur encore relativement inexpérimenté était tombée bien en dessous de zéro, et le projet fut même sur le point d’être abandonné. Et pourtant, c’est précisément cet échec initial qui a donné naissance à un succès au box-office.
Voici pourquoi. Outre les membres de l’équipe malades en mer, les querelles entre acteurs et les conflits avec les autorités locales (le film fut tourné à Martha’s Vineyard), c’est surtout le requin mécanique qui posa problème. Il refusait tout simplement de coopérer : il ne fonctionnait pas ou menaçait de couler au fond de l’océan. La seule solution : le montrer le moins possible à l’écran. Et c’est justement là que réside la force du film. On ressent la menace constante, sans jamais vraiment voir Bruce. Anecdote amusante pour les juristes : le requin mécanique fut baptisé Bruce, du nom de l’avocat de Spielberg. Un véritable « requin du barreau », sans doute.
Nous pouvons donc tirer deux leçons de Jaws : 1° Faites attention avant d’entrer dans l’eau, et 2° Un peu d’échec n’est jamais la fin du monde. Un plaidoyer, donc, pour un peu d’échec, car cela peut aussi ouvrir des perspectives…
L’échec vous tend un miroir : qui êtes-vous quand ça tourne mal ?
L’échec est inconfortable. Il irrite, il égratigne l’image que l’on a de soi, il défie notre ego. Et pourtant, c’est justement dans le sillage d’un revers que notre véritable caractère se révèle. Comment réagissez-vous quand les choses ne se passent pas comme prévu ? Vous fuyez ? Vous relativisez ? Ou bien vous analysez, vous apprenez et vous rectifiez le tir ? Moi-même, j’ai entamé un doctorat en droit. Autour de moi, mes collègues doctorants défendaient brillamment leur thèse. Quant à moi, je stagnais, bloqué. En concertation avec mon promoteur, j’ai mis fin à ma recherche. Une décision difficile. Je reconnais volontiers que cet échec m’a longtemps pesé. Mais j’ai aussi commencé à voir ce que je pouvais tirer de cette période.
Savoir s’adapter à une nouvelle situation et accepter de corriger sa trajectoire est une preuve de maturité. Un âne ne trébuche pas deux fois sur la même pierre – à condition de se souvenir où elle se trouvait. Ce n’est qu’en osant regarder l’échec en face que l’on peut en tirer des leçons.
Savoir ce qui ne marche pas
Le succès est souvent présenté comme une ligne droite : idée, action, applaudissements. Mais la réalité est rarement aussi linéaire. J.K. Rowling a été refusée par douze éditeurs avant que Harry Potter ne voie le jour. Roger Federer – considéré par certains comme le plus grand joueur de tennis de tous les temps, même si je préfère personnellement Rafael Nadal – a expliqué lors d’un discours devant des étudiants qu’il n’a gagné qu’un peu plus de la moitié des points joués dans sa carrière. Même un champion avec vingt titres du Grand Chelem n’a remporté que 54 % des points. Mais chaque point n’est qu’un point. Et un point perdu ne signifie pas un jeu perdu, ni un match perdu. Résultat : Federer a gagné près de 80 % de ses matchs.
Il faut donc savoir ce qui ne fonctionne pas pour découvrir ce qui fonctionne. Chaque contrat refusé, chaque procédure échouée, chaque plaidoirie ratée fournit des données, une variable qui permet d’ajuster sa stratégie. Si vous l’acceptez, l’échec devient une forme d’affinement.
De l’échec au coup de chance
Il arrive qu’une expérience semble être une défaite, avant de se transformer plus tard en victoire inattendue. Le tournage de Jaws en est la preuve. Mais il y a bien d’autres exemples. Connaissez-vous l’histoire de la création des Post-it ? L’objectif était de développer une colle ultra-puissante. Mais lors des tests, le produit ne collait pas bien. La colle fut alors jugée ratée. Et c’était vrai. En tant que colle, elle était un échec. Jusqu’à ce que quelqu’un réalise que cette adhérence légère et temporaire était parfaite pour les petites notes. L’échec devint un succès. “Failing forward”, comme disent si joliment les Anglais.
L’échec demande de la responsabilité
Celui qui aime récolter les lauriers du succès doit aussi être prêt à porter le poids de l’échec. Il faut du courage pour dire publiquement : "C’est ma faute." Mais c’est précisément ce moment, où l’on prend ses responsabilités, qui marque le début de la confiance – en soi comme envers les autres. Reconnaître ses échecs est une force, pas une faiblesse.
Dans beaucoup d’organisations, l’échec est encore assimilé à de l’incompétence. Pourtant, un environnement de travail où l’échec est possible est souvent bien plus innovant. Non pas parce que les gens aiment se tromper, mais parce qu’ils osent essayer. Et celui qui ne fait rien ne peut ni échouer… ni créer du neuf.
Tout le monde ne voit pas votre échec
Comme je l’ai écrit dans une précédente chronique : soyez indulgent avec vous-même. Il est facile de juger sévèrement, surtout ses propres échecs. Mais le perfectionnisme est rarement un bon conseiller. Bien sûr, il y a ces moments où vous vous dites : “Je me suis planté.” Que d’autres vont se moquer, vous juger, retenir votre bourde.
Mais si vous pensez cela… vous vous surestimez un peu. En psychologie, cela s’appelle l’effet de projecteur[1]. Ce phénomène décrit la tendance à croire que nos fautes ou défauts sont bien plus visibles qu’ils ne le sont en réalité. Parce que nous voyons le monde de manière égocentrée, nous surestimons l’attention que les autres nous portent (pour nos réussites comme pour nos échecs).
Autrement dit : pendant que vous ressassez pendant des heures ce bafouillage lors d’une présentation, votre public l’a probablement déjà oublié. Ou ne l’a même pas remarqué. Le monde continue de tourner. Et il y a de fortes chances que chacun ait surtout été occupé… par son propre “projecteur”.
Osez échouer
Alors, chers confrères juristes, n’ayez pas peur d’échouer. Considérez chaque faux pas comme une invitation à la compréhension. Chaque échec est une occasion d’apprendre: sur votre métier, sur le monde, sur vous-même. Ayez le courage d’essayer, même sans garantie de réussite. Le courage de dire : “Je ne sais pas encore.” Ou : “Cela s’est mal passé, mais j’en connais la raison.”
L’échec n’en est un que si vous n’en tirez aucune leçon. Si vous faites comme si de rien n’était. Si vous vous privez de cet apprentissage. Alors, posez-vous ces questions inconfortables. Osez la réflexion. Explorez d’autres voies. Et soyez indulgent, envers vous-même et les autres.
Wim Putzeys, Rédacteur en chef de Jubel
Ce texte a été traduit du néerlandais. Lisez l'original ici.
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